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LE LENDEMAIN DE LA VICTOIRE

ses professeurs officiels, que l’homme relève uniquement de sa propre raison ou de son instinct.

VALENTIN.

Les insensés !

LE VENGEUR.

Parfaitement insensés à votre point de vue, au mien parfaitement sages ; mais nous ne discuterons pas ce point de philosophie. Il serait long à vider entre nous, et nous avons autre chose à faire. Je dis donc que la société est jugée, au moins par moi. Je dis qu’elle est vaincue, que j’ai le pied sur sa gorge, qu’elle ne se relèvera pas. Sans contester à la société aucune de ses vertus, vous avouerez qu’elle a dû se donner quelques torts pour mériter de tomber entre mes mains.

VALENTIN.

Oui ; elle vous a enfantés dans ses adultères, et vous avez grandi pour sa punition. Dans ses larmes et dans ses repentirs, elle enfantera des saints qui grandiront pour son salut. Ceux-là peut-être sont déjà nés, et peut-être même déjà sont des hommes. Ils vous replongeront au sein des ténèbres, d’où le crime de l’esprit ne vous a tirés que pour multiplier les crimes ignobles de la main. Vous commettrez beaucoup de méfaits et beaucoup de forfaits. Vous entasserez les ruines. Vous ferez périr beaucoup d’innocens. Vous ne parviendrez pas à fonder un gouvernement, vous n’échapperez pas à la défaite et à la mort. Plus vous irez vite, moins vous irez loin. Si vous n’apparaissez que comme les instrumens d’une justice qui punit les crimes du monde, quelle sera votre punition, à vous ? L’intelligence ne vous manque point comme aux brutes que vous déchaînez. Vous savez donc ce que vous êtes et ce que vous faites. Vous savez qu’en un seul jour vous déployez plus d’égoïsme, vous commettez plus d’iniquités, vous opprimez plus d’innocentes victimes, vous répandez plus de sang et vous faites plus de misérables que vous n’en pouvez reprocher à la société dans le cours d’un siècle.

LE VENGEUR.

Eh bien ?

VALENTIN.

Eh bien ! il y a un Dieu.

LE VENGEUR.

C’est la question. Vous affirmez, je nie. Vous affirmez dans l’intérêt du bourgeois. Faisons venir un bourgeois ; demandons-lui s’il existe vraiment un Dieu qui défend de vendre à faux poids, de vivre en concubinage, de faire des livres athées et de tenir des discours menteurs. En dépit de Dieu, je me fie au bourgeois pour prolonger mon règne.

VALENTIN.

Quand Dieu a puni le blasphème, il écoute la prière. Il pardonne au coupable en faveur de l’innocent. Vous traverserez le monde, vous n’y régnerez point. Si l’épée ne peut vous abattre, une fronde vous abattra, et si la fronde manquait comme l’épée, s’il n’y avait plus sur la terre une ame assez fière pour vous haïr, un bras assez fort pour vous vaincre, Dieu saurait encore humilier votre orgueil et constater votre ignominie. Ne parlez plus de règne et d’empire. Vous ne deviendrez pas des législateurs, vous resterez des bandits, et vos noms,