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LE LENDEMAIN DE LA VICTOIRE

VALENTIN.

Vous êtes l’insurgé blessé de 1848 qui a été soigné et caché quelques jours chez moi.

L’OUVRIER.

Oui, et qui est parti sans prendre congé.

VALENTIN.

Avez-vous cru que je vous livrerais ?

L’OUVRIER.

Je vous connais mieux. J’ai voulu échapper à vos discours, parce qu’ils affaiblissaient mes colères. Dès notre premier entretien, je vous ai déclaré que je nourrissais contre la société une haine irréconciliable, et que je la poursuivrais d’une guerre éternelle et sans merci.

VALENTIN.

Je m’en souviens.

L’OUVRIER.

Vous m’avez sauvé cependant.

VALENTIN.

l’ai trouvé en vous beaucoup d’ignorance, beaucoup de passion et quelque générosité. Je vous ai plaint, j’ai cru que je parviendrais à vous éclairer. Je me suis sans doute trompé.

L’OUVRIER.

Plus que vous ne pensez.

VALENTIN.

Je continue de vous plaindre et je ne regrette pas mon erreur.

L’OUVRIER.

Comme il vous plaira. Voici ce qui m’amène. Vous êtes proscrit. Les agens du gouvernement provisoire sont à votre porte, où mes compagnons les retiennent. Je viens à mon tour vous protéger.

VALENTIN.

Avez-vous ce pouvoir ?

L’OUVRIER.

Plusieurs se disent et se croient les maîtres. Il n’y en a pas d’autre que moi. Je suis celui qu’on appelle le vengeur !

VALENTIN.

Ah ! c’est vous ?

LE VENGEUR.

C’est moi.

VALENTIN.

Après ce qu’on dit de vous et ce que j’en sais, je suis surpris de ne point vous trouver ingrat.

LE VENGEUR.

On ne dit rien de trop, et vous ne savez pas tout ; mais que j’agisse par sentiment ou par politique, ne vous en occupez point. Sachez seulement que vous êtes libre. Ils font, je crois, un dictateur là-bas, à l’Hôtel-de-Ville. Le dictateur est moins en sûreté que vous. Malheur à qui viendrait vous toucher sous ma main !