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LE LENDEMAIN DE LA VICTOIRE

PHÉBUS.

Ne craignez rien, je suis avec vous. Si le peuple déborde jusqu’ici, je me ferai connaître, et je le calmerai.

PROTAGORAS.

Merci ; mais…

PHÉBUS.

Quoi ?

PROTAGORAS.

Franchement, je ne m’y fie pas.

PHÉBUS.

Ne craignez rien, vous dis-je. J’ai vu la foule plus terrible et je l’ai domptée.

DÉMOPHILE.

Ne l’attendons point cependant, s’il est possible.

PHÉBUS.

Vous aussi, Démophile, vous doutez du pouvoir de la parole ?

DÉMOPHILE.

Très fort, même de la vôtre. Le monstre ne veut plus de nos gâteaux, il a flairé la chair et le sang. Ah ! Phébus, Phébus ! qu’avons-nous fait ?

PHÉBUS.

Nous avons fait une belle page d’histoire, et nous pouvons la faire plus belle encore. Que la même voix qui a dit à la révolution : Va ! lui dise : Tu n’iras pas plus loin !

DÉMOPHILE.

Vous vous flattez d’arrêter la révolution !

PHÉBUS.

Il n’y a pas à se flatter d’une chose si simple. Je monterai sur cette borne, et je la donnerai pour digue au torrent.

DÉMOPHILE.

Le fat !

PROTAGORAS.

Vous ne rendrez à l’humanité ni ce bon ni ce mauvais office.

DÉMOPHILE.

À l’autre ! Mais celui-ci, du moins, n’a pas mis le feu au monde uniquement pour s’amuser.

PHÉBUS.

L’humanité ! Vous me faites rire avec vos grands mots, mon cher philosophe. Il n’y a pas d’humanité. Il y a quelques hommes, fort peu, qui viennent à longs intervalles agiter les multitudes, afin de se donner à eux-mêmes le beau spectacle de leur puissance, et à ce qu’on appelle le genre humain de quoi s’occuper et admirer. Ainsi Moïse, ainsi Jésus-Christ, ainsi Mahomet, ainsi Luther, ainsi Robespierre…

PROTAGORAS.

Et vous, n’est-ce pas ?

PHÉBUS.

Et peut-être moi. Je crois qu’en effet je laisserai dans le monde quelques souvenirs et quelques idées…