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REVUE DES DEUX MONDES.

(Il s’approche.) C’est Simplet ! Pauvre garçon ! Avant de le juger, vous auriez dû prendre au moins l’avis du chef de la barricade.

GRIFFARD.

Nous ne connaissons pas ton chef. Notre chef, à nous, c’est le Vengeur.

GUYOT.

C’est différent. (À part.) Je m’en doutais.

SIMPLET, bas à Guyot, qui le charge sur les épaules d’un insurgé.

Fais attention, je suis encore un peu vivant. (On emporte les cadavres.)

GRIFFARD.

Ah ! voilà Labiche ! Quelles nouvelles ?

LABICHE.

Le Vengeur vient d’entrer à l’Hôtel-de-Ville. La légion qui en défendait les abords est écharpée. Partout où le Vengeur a passé, la désolation règne ; le feu est en plusieurs endroits.

GRIFFARD.

Nous le mettrons tout à l’heure ici. Que partout le sang et la flamme séparent le peuple et les bourgeois ! Ami Labiche, pour cette fois la révolution est faite, nous allons nager en pleine eau. Vive la république démocratique et sociale !

V.
La barricade.
GUYOT.

Allons, secoue-toi, commandant. Tu es pâle et morne, et l’on t’examine. Tu risques de passer pour un apitoyeur.

RHETO.

Je ne puis éloigner l’image de ce malheureux. En tombant, il m’a jeté un regard que je sens toujours.

GUYOT.

Il n’a pas plus regardé toi qu’un autre : c’est une idée qu’on se fait. À mon premier mort, j’ai éprouvé cela aussi. On s’y habitue. Cependant je l’avais tué de ma main.

RHETO.

Oui, mais en combattant.

GUYOT.

Sans doute… c’est-à-dire, il avait l’arme au bras et il était en faction au coin d’une rue, sous un réverbère. Je lui ai arraché son fusil et je lui ai plongé la baïonnette dans le ventre. Il est tombé en disant : Mes pauvres petites filles ! J’ai entendu ces paroles pendant un mois, jour et nuit.

RHETO.

C’est horrible !

GUYOT.

Je ne puis pas dire que ce soit gai ; mais on sait qu’on a servi la bonne cause… et ça s’efface en en tuant d’autres. Ce n’est pas encore là ce que je trouve de plus