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jours, nous fûmes exposés à ce déluge ; la pluie et la pluie encore et toujours la pluie, et pas une étoile, pas un espoir ! Les averses tombaient sans interruption, et rendaient en tombant sur les tentes ce bruit sec qui vous glace. Sous cette pression funeste, les fortes terres de la vallée, pareilles aux terres de la Brie se changeaient en une boue liquide. Bien hardi eut été celui qui eut osé mettre le nez hors de sa tente. Vous faisiez un pas, vous enfonciez jusqu’aux genoux. Nous n’étions plus des soldats en belle tenue, nous avions toute l’apparence de sauvages, et c’est une des cruautés de la vie au bivouac que cette absence de netteté et d’élégance. Aussi malheureux que leurs maîtres et non moins à plaindre, nos pauvres chevaux, l’oreille basse, la tête entre les jambes, présentaient au vent et à la pluie leur croupe frileuse. Tout cela nous ennuyait fort ; pour comble de malheur, l’orge commençait à manquer. Maîtres et chevaux, du reste, étaient à l’unisson, nos provisions s’épuisaient, bientôt nous allions être réduits aux vivres de guerre. En Afrique, il faut tout prévoir avant le départ et ne pas compter sur le hasard ; or, depuis tantôt deux mois, aucun ravitaillement ne nous était parvenu. Déjà nous n’avions plus de vin ; l’eau-de-vie diminuait d’une façon effrayante ; heureusement il nous restait du sucre et du café. Il faut prendre son parti de toutes choses, et la pluie, la boue, le froid, la disette menaçante, ne pouvaient venir à bout de notre joyeuse philosophie. Nos chevaux étaient moins patiens que nous-mêmes, et nous devions les nourrir coûte que coûte. On se mit donc à la recherche des silos à travers des chemins affreux, des sentiers glissans, le long des pentes les plus escarpées. On en trouva bien quelques-uns, mais en quantité insuffisante, et pendant quatre jours nos pauvres bêtes n’eurent qu’une poignée d’orge ; en revanche, boue, grêle et pluie.

À chaque instant, il arrivait des nouvelles de cet homme tant cherché, d’Abd-el-Kader. Au dire des espions, il était non loin de nous, dans le pays des Flittas ; on pouvait facilement le joindre. Il tombait toujours beaucoup d’eau, mais le baromètre remontait, et les savans de la colonne prétendaient que la lune allait se montrer miséricordieuse. Par-dessus tout, et quel que fût le temps, il fallait agir ; laisser Abd-el-Kader en repos si près de nous était une trop grave imprudence. Aussi l’ordre fut-il donné à la cavalerie de se tenir prête à marcher, et une demi-heure avant le jour nous quittions le bivouac mouillés jusqu’aux os. Pendant que nous étions en course, M. le maréchal descendait le Riou et venait camper au confluent de cette rivière et de l’Oued-Teguiguess. C’était là que nous devions le rejoindre. Deux heures après le départ, la pluie cessa, le vent d’ouest balaya les nuages. On marchait vite ; les chevaux, épuisés par le mauvais temps et le manque de nourriture, avaient grand’ peine à se tirer d’affaire dans ces terres grasses, beaucoup y laissèrent leurs fers ; mais il fallait arriver : les vedettes en-