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LA VIE MILITAIRE EN AFRIQUE.

Kabyle s’approche, le coup part, le Kabyle est mort ! Le tirailleur recharge son arme et il attend. L’instant d’après, vous eussiez vu un second Kabyle s’avancer à pas comptés : il regardait à droite, il regardait à gauche ; puis, ne voyant personne, il s’approchait pour enlever le corps selon l’usage arabe. Un coup de fusil l’étend raide mort. Bref, le tirailleur en abat quatre, et, l’œuvre accomplie, il regagne la colonne, tout fier de son adresse et de son sang-froid.

Cependant on approchait de cet endroit nommé Touiza, d’où nous étions partis si gaiement il y avait trois jours : c’était là que nous devions de nouveau bivouaquer. Il était trois heures quand nous nous y installâmes. Les Arabes avaient pris position sur une colline voisine, d’où leur bourdonnement et le bruit du tam-tam arrivaient jusqu’à notre camp. Chacun de nous avait retrouvé la place qu’il occupait avant le départ. La tente du colonel Berthier fut dressée à l’endroit même où elle avait été une première fois élevée. Là, son corps fut entouré de silence et de respect : deux factionnaires veillaient nuit et jour à ce lit de mort. Six grandes tentes étaient remplies de blessés ; deux autres renfermaient les cadavres de ceux qui avaient succombé. À la nuit, l’on creusa dans l’intérieur du camp des fosses pour enterrer nos morts, hélas ! trop nombreux, après quoi on alluma de grands feux sur ces tombes qu’il fallait dérober aux profanations des Arabes, et, ce devoir accompli, chacun regagna sa tente.

Le lendemain fut un jour de halte : on donna aux chevaux le peu d’orge qui restait dans les sacs, et ce fut là, pendant vingt-quatre heures, leur seule nourriture jusqu’à ce que nous eussions rencontré dans la plaine quelque provende à dévorer. On se disposait à ramener le corps du colonel Berthier à Mostaganem, afin que sa tombe fût placée près de son régiment, disons mieux, près de sa famille ; mais on avait compté sans le soleil de septembre, et il fallut embaumer le cadavre. Le ruisseau qui coulait près de nos tentes était rempli d’aromates ; on en recueillit une grande quantité, et, dans la journée, l’embaumement fut achevé. Le colonel fut revêtu de ses vêtemens de guerre, enveloppé de son manteau, roulé enfin dans sa tente, digne linceul ! Une mule vigoureuse, franchissant vingt-cinq lieues en un jour, devait transporter ce funèbre dépôt à Mostaganem.

Cependant, pour ne pas rester oisifs, les Arabes étaient venus tirailler sur nos grand’gardes, et le lendemain, au départ, tous ces cavaliers nous suivaient, mais d’assez loin. À partir de Touiza, la vallée s’élargit jusqu’aux dernières collines, qui vont mourir, à deux lieues de là, dans la grande plaine de la Mina. Le nom de cette plaine lui vient d’une rivière qui prend sa source sur les hauts plateaux du Sersous, traverse le pays des Sdamas, côtoie les Flittas et débouche au sud-ouest de cette grande plaine, coulant en ligne presque droite, pendant