Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 3.djvu/231

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ces brusques péripéties, de ces résolutions hardies qui, selon les temps et la cause, font les aventuriers ou les héros. Il est né à Tarnow, quelques années avant le siècle, d’une famille noble. Sorti de l’école militaire de Varsovie, alors dirigée par un commandant français, il fit avec notre armée la campagne de Russie de 1811. Après 1815, il fut compris dans la réorganisation de l’armée polonaise. Le grand-duc Constantin l’avait pris en amitié ; mais bientôt, on ne sait par quel caprice du chef ou par quelle indiscipline de l’officier, cette faveur se changea en inimitié et en persécution. De 1820 à 1826, Bem fut deux fois renvoyé de son régiment et trois fois soumis à des conseils de guerre. Des peines assez légères prononcées contre lui furent, dit-on, changées en une prison rigoureuse. À la mort d’Alexandre, il se retira Lemberg, et y vécut jusqu’à la fin de 1830. Il accourut au premier bruit de la révolution polonaise. Au combat d’Ostrolenka, il fit des prodiges de valeur, et fut nommé général sur le champ de bataille. Après la chute de Varsovie, Bem erra à travers à l’Europe. Il combattit en Portugal avec l’expédition de dom Pedro ; il revint ensuite se fixer à Paris, il s’y occupait d’expériences sur les fusées à la congrève et aussi d’une méthode de mnémotique, appelée la méthode polonaise. Ces loisirs n’étaient pas de son choix : la révolution de février ouvrit la carrière à ses vengeances et à son ardeur. À la nouvelle de la seconde révolution de Vienne, au mois d’octobre dernier, il accourut dans cette ville ; il y organisa une garde mobile sur le modèle de la nôtre, et fut nommé commandant-général de la place. Son intrépidité et la témérité de son courage furent admirés de tous ; mais sa rigueur, disons-le, sa cruauté, n’étaient pas moins grandes. Après la prise de Vienne, sa tête fut mise à prix. On savait qu’il était resté dans la ville, et la police militaire n’épargnait rien pour le découvrir. Le hardi aventurier se fit renfermer et clouer dans une bière ; on plaça la bière sur un char funèbre que suivaient quelques amis donnant toutes les marques d’une vive douleur. C’est ainsi qu’on passa à travers les postes autrichiens. Bem, sorti de son cercueil, gagna la frontière hongroise, qui n’est qu’à quelques lieues. Il devait faire expier par de sanglantes représailles la proscription qui l’avait frappé.

On le mit à la tête d’un corps d’environ dix mille hommes, formé de quatre à cinq mille Polonais, de Széklers, de hussards de Kossuth et d’un certain nombre de Valaques incorporés de force au milieu de leurs ennemis : il occupa rapidement toute la Transylvanie, ravageant, rançonnant et brûlant sur son passage les villages valaques et les établissemens saxons enclavés dans le haut pays. Les troupes autrichiennes, trop faibles pour s’opposer à la marche du général polonais, durent se borner à couvrir Hermanstadt. Les fugitifs arrivaient de tous côtés dans cette ville, poussant devant eux leurs bestiaux et les troupeaux