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résoudre, d’élever entre deux ministères ou d’abattre une faible cloison. Ne poussons pas jusqu’à ce point la superstition des formules.

La création d’un ministère de la police générale ne serait qu’une réminiscence de l’empire, dans un temps et sous un peuple qui répugnent aux plagiats du passé. Sous l’empire, après le ministère de la guerre, qui préparait les conquêtes, venait celui de la police, qui organisait la surveillance et les moyens d’action dans les pays conquis. La France alors s’étendait de Naples à Hambourg et du Guadalquivir au Niémen. L’Europe n’était pas, comme aujourd’hui, sillonnée de routes et jalonnée de télégraphes. Les chemins de fer, qui mettent déjà Paris à trois journées de Varsovie, et qui réduiront bientôt à vingt-quatre heures la distance de Paris à Marseille, étaient encore inconnus. Il n’y avait point de presse libre ni de tribune pour traduire au grand jour la pensée des peuples. La liberté de la parole trouvait à peine, dans quelques salons privilégiés un refuge troublé par mille inquiétudes. L’esprit public s’agitait dans l’ombre ; il allait minant, par des travaux souterrains, le pouvoir qui le contre-minait par la police. À une conspiration permanente et universelle des vaincus, le vainqueur opposait l’œil toujours ouvert de l’espionnage. La police était partout et elle était tout. Il n’y avait pas d’autre moyen de gouvernement.

La France, de nos jours, est dans des conditions bien différentes. Nous avons perdu nos conquêtes, et avec les avantages ont disparu aussi les charges de cette vaste domination. La population est homogène ; elle ne se partage pas naturellement en vainqueurs et en vaincus : tous les citoyens ayant des droits égaux il n’y a ni motif ni prétexte à ces haines implacables dont la police va chercher le secret au fond des coeurs. Au pouvoir d’un seul a succédé le gouvernement de tous. La liberté de la presse et la liberté de la tribune, mettant en relief les opinions, les projets et les espérances, font la police des partis au profit de la société. Je ne sais pas d’émeute que les feuilles anarchiques n’aient annoncée, pas de complot qu’elles n’aient laissé transpirer à l’avance. Dans un gouvernement représentatif, les meilleurs et les plus sûrs avertissemens sont donnés par la publicité. Un pouvoir qui veut vivre et durer doit tâter chaque jour le pouls à l’opinion publique. La police, qui, dans un gouvernement absolu, envahit l’espace, sous un régime constitutionnel se voit reléguée à un rang secondaire et en quelque sorte sur l’arrière-plan. Un ministère de la police, nécessaire à la France de l’empire et au gouvernement autocratique de la Russie, ne s’expliquerait pas et ne serait qu’un luxe déplacé pour la France libre, constitutionnelle et républicaine. Ce n’est plus Fouché ni Talleyrand, c’est Casimir Périer qu’il nous faut.

Un ministre de la police ne se conçoit pas sans un pouvoir arbitraire : la lettre de cachet est au bout de l’institution, ou l’institution n’est rien. Le lieutenant-général de police sous Louis XV et le ministre de la police sous Napoléon ne se contentaient pas de surveiller et de signaler les complots contre la sûreté de l’état : ils avaient une juridiction propre et une action très réelle, très puissante, devant laquelle fléchissaient ou tombaient tous les obstacles. Disposerait-on de cette force mystérieuse et irrésistible aujourd’hui ? Je ne parle pas de l’arbitraire ; mais la police a-t-elle une action à exercer ? La police surveille ; mais, en dehors de la surveillance, elle est sans pouvoir, elle n’agit pas. La magistrature décerne les mandats d’arrêt et de perquisition ; l’autorité municipale