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cher du sud au nord. Ce mouvement s’accomplirait aujourd’hui entre l’armée russe, qui est dans les régions voisines des sources de la Theiss, et celle de Jellachich, qui est victorieuse, au confluent de la Theiss et du Danube. Si cette opération réussissait, les communications de Bem avec le corps d’armée hongroise étant rompues, le pacificateur de la Transylvanie, perdu au milieu de ces populations valaques dont la fidélité à la cause magyare n’est que conditionnelle, pourrait, avec l’ardeur étrange de ses inspirations, jeter quelque lustre nouveau sur sa fabuleuse destinée, mais il ne lui serait pas donné de prolonger long-temps la résistance. Si, au contraire, la jonction des deux armées sur la Theiss ne s’accomplissait pas ; si les Magyars, encore une fois battus sous les murs de Comorn et de Raab, et délogés de Buda-Pesth, parvenaient à franchir la ligne le la Theiss et à se frayer un chemin vers les montagnes de l’est, qui peut dire de combien de jours la fin de cette déplorable guerre serait retardée ?

La Turquie a suivi dans les derniers temps le développement de cette question avec une vive sollicitude. Ce n’est point que cette puissance ait servi directement ni indirectement les intérêts de la Hongrie ; il est à penser toutefois, il est certain que son vœu serait de voir sortir de cette conflagration le plus possible de désagrémens et d’embarras pour la Russie. Bien que le gouvernement turc soit trop souvent obligé de plier devant les exigences de la diplomatie russe, il est impossible de ne pas reconnaître que les sentimens intimes du sultan et de son peuple sont bien différens des sentimens officiels exprimés dans les conventions écrites.

Le Turc n’est point démonstratif ; il semble avoir voué un culte grave et solennel au dieu du silence, et il n’est pas plus facile de pénétrer dans les replis de son cœur que sous le toit de sa famille. On dirait qu’il réserve le secret de sa pensée et de son existence pour des regards plus qu’humains. Mais détournez le Turc de ses préoccupations contemplatives pour ramener sur ce douloureux chapitre de son histoire, sur ses relations avec le Moscovite, un éclair traverse ses calmes regards et un feu soudain se dégage de ses lèvres ; si vous savez comprendre, vous saisissez sous le voile qui vient de se lever tout ce qu’il y a de fières passions endormies dans cet esprit attristé et tout ce que les événemens peuvent, à un jour donné, y dégager de haines vigoureuses, en représailles de tant d’humiliations endurées de ce côté depuis un siècle. Si donc le gouvernement turc subit la Russie, il n’en déteste pas moins avec tout le peuple cette onéreuse alliance.

La Turquie ne souhaite point le succès des armées russes, car le jour ou l’Autriche, dont l’indépendance aurait pu être une des garanties les plus sûres de l’indépendance ottomane, sera à son tour tombée sous le protectorat moral du czar, il ne sera pas facile au sultan de repousser de chez lui ce même protectorat qui s’est imposé aux trois principautés du Danube. Selon toute probabilité, au lieu de s’affaiblir, l’influence russe sur les populations de Servie, de Bulgarie et de Bosnie s’accroîtra rapidement dans des proportions dangereuses. Les Serbes, les Bulgares, les Bosniaques, sont les alliés des Slaves de Hongrie qui se battent contre les Magyars, et dont le czar se vante d’être le sauveur. Depuis 1840, un grand progrès s’était accompli parmi les populations chrétiennes de la Turquie. On avait su les soustraire aux paroles perfides et trop long-temps écoutées de la propagande religieuse et de la propagande panslaviste, qui se prêtaient, prin-