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patriotisme moins impétueux. L’assemblée de Francfort n’hésita pas ; elle déclara, sur une interpellation de M. Stedtmann, que « cette réunion du Limbourg avec le royaume de Hollande était inconciliable avec la nouvelle constitution de l’empire, » et elle ordonna au ministère « de terminer cette affaire à la satisfaction de l’honneur allemand. Ainsi, point de scrupules, aucune hésitation ; les principes qu’on a posés ont droit au respect tant qu’ils peuvent être utiles ; dès qu’ils s’opposent à l’ambition allemande, on les viole effrontément ! Ici, du moins, l’Allemagne n’avait pas tout-à-fait tort ; le duché de Limbourg, en vertu d’un traité, faisait partie de l’Allemagne et ne pouvait être représenté aux états-généraux de la Hollande : c’est par l’arrogance de la forme que le parlement germanique mettait les torts de son côté, et surtout par cette violation flagrante d’un principe proclamé la veille ; mais comment excuser ces grands apôtres des nationalités, ces hommes si prompts à s’indigner de l’oppression des Allemands dans les duchés danois, et qui, tout en faisant une guerre injuste sous ce prétexte hypocrite, maintiennent en Italie l’odieuse domination de l’Autriche, prétendent absorber la famille slave, applaudissent au bombardement de Prague, triomphent de l’abaissement de la Bohême, et, décrétant l’annexion du duché de Posen à l’empire, détruisent le dernier simulacre d’indépendance laissé à cette malheureuse. Pologne !

Cette discussion sur la Pologne mérite qu’on s’y arrête un instant. Le duché de Posen fera-t-il partie de l’empire ou bien faut-il réserver les droits de la Pologne et ne point enlever un dernier espoir, une dernière lueur d’existence à ce peuple martyr ? et elle était, au fond, la véritable question posée devant le parlement de Francfort, quand la discussion s’ouvrit le 22 juillet 1848. Un des plus grands malheurs de la Pologne (dernier outrage après tant d’outrages !), c’est d’être défendue par les plus mauvaises passions et de servir de prétexte aux plus stupides violences de la démagogie. M. Arnold Ruge le prouva bien lorsqu’il vint plaider la cause du duché de Posen. Il paraît que M. Ruge change de masque et de costume selon les discussions où il joue un rôle ; nous l’avons vu tout à l’heure fort irrité contre le patriotisme : c’est le patriotisme (celui des étrangers, il est vrai) qui inspire sa prétentieuse parole ; M. Ruge souhaite la reconstitution de la Pologne, l’indépendance de l’Italie, et fait des vœux ardens pour la défaite de Radetzky et de ses troupes. Figurez-vous l’effet de ces paroles sur une assemblée allemande ! Une majorité immense se lève : « A l’ordre ! à l’ordre ! » Et, comme si ce n’était pas assez de rappeler l’orateur à l’ordre : « A bas de la tribune ! » s’écrie un concert de voix indignées. Alors M. de Gagern, dominant le tumulte : « Je ne rappellerai pas Arnold Ruge à l’ordre, car je ne puis lui enlever sa philosophie ; je lui dirai seulement que souhaiter une défaite à notre armée est un