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qui étaient aussi policés que quiconque l’était alors dans la Grande-Bretagne. On eut donc au Massachusetts, dans l’origine, la confusion de l’état dans l’église, la théocratie, l’intolérance systématique. Quiconque n’était pas des congrégations n’aurait pu se supporter dans le pays et n’y était pas supporté. La loi réglementait tout, statuait sur tous les actes de la vie ; elle n’était pas seulement exclusive, elle était impitoyable.

Quand on lit les anciens documens des deux principaux états de la Nouvelle-Angleterre, le Massachusetts et le Connecticut, on y voit la peine de mort appliquée en vertu des articles du Deutéronome, du Lévitique et de l’Exode non pas seulement pour des crimes contre les personnes ou les propriétés, mais pour des péchés dont on ne rend plus compte qu’à son confesseur ou à Dieu. Alors c’est le bourreau qui est chargé de faire respecter, même sous le toit domestique, la religion et les mœurs. Le blasphème est alors un crime capital, par la raison que c’est dit dans le Lévitique. L’adultère est frappé de la même peine par le même motif. L’Exode, le Lévitique et le Deutéronome montrent que, parmi les Hébreux, la sorcellerie entraînait le dernier supplice ; il n’en faut pas davantage pour que, dans le Massachusetts et le Connecticut ; en plein XVIIe siècle, la sorcellerie soit reconnue comme un crime qui conduit nécessairement à la potence. L’intervalle de 1688 à 1692 est marqué, dans l’histoire du Massachusetts, par une suite de procès ou l’ambition astucieuse d’un ministre nommé Cotton Mather fit condamner à mort comme coupables de sorcellerie un grand nombre de personnes respectables, dont une même était un vénérable prédicateur, et les condamnés furent exécutés[1].

Dans le détail de la vie privée, on prescrivait ce qu’on jugeait conforme à la législation des Hébreux, et on reprenait ce qui du même point de vue paraissait blâmable. Les lois bleues du Connecticut, qui gouvernaient cet état en 1630, ont sous ce rapport plus de célébrité encore que les règlemens du Massachusetts. On y trouve, par exemple, l’interdiction du tabac, et il est permis de croire que les réminiscences de ce temps-là ne sont pas étrangères à l’ordonnance locale dont je parlais tout à l’heure, et qui, au surplus, n’a rien que de facile à justifier, au sujet de la promenade des Commons à Boston.

Les idées suscitées ou fortifiées en Europe par le progrès des temps, qui peu à peu y faisaient prévaloir la séparation de l’autorité civile et de

  1. En France, l’exécution d’Urbain Grandier, sous prétexte de sorcellerie, est de 1634, c’est-à-dire antérieure de cinquante-quatre ans à celle des victimes de Cotton Mather. Le supplice du chevalier de La Barre, pour sacrilège, est même de 1766 ; Il est vrai que ce fut un acte isolé. Le récit des procès en sorcellerie dans le Massachusetts est un des morceaux les plus curieux de l’excellente Histoire des États-Unis par M. Bancroft. Il est dans le Chapitre XIX.