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Nouvelle-Angleterre, dans le nord même, la philosophie du XVIIIe siècle a pris pied assez pour introduire jusqu’à un certain point le laisser-aller français, tandis que l’homme de la Nouvelle-Angleterre ne connaît et n’aime de philosophie que l’esprit biblique, qui est peu indulgent, qui est austère et rigide. Cependant la tendance réglementaire, appliquée à des objets du genre de celui que je viens de noter, se retrouve à différens degrés sur la totalité du territoire de l’Union, et elle caractérisera l’Amérique tant que l’Yankee y aura l’ascendant. Pour le maintien de la république des États-Unis, il faut souhaiter que ce soit indéfiniment.

Dans l’antiquité, les hommes dont la postérité a fait des modèles républicains ont tous pensé que le luxe et la débauche étaient les ennemis mortels de la liberté politique et que l’irréligion en était le poison ; rien n’est plus vrai, et c’est une vérité de tous les temps et de tous les lieux. Voici une population qui subitement se vante d’être républicaine et se prend à crier d’une voix tonnante : Vive la république ! Ne vous fiez pas à ces clameurs. Tâtez-lui le pouls et sondez-lui les reins. Si vous découvrez qu’elle a perdu la foi religieuse, que le scepticisme l’a gangrenée, que c’est à peine si quelques âmes d’élite ont pour se diriger la philosophie, flambeau dont l’œil du vulgaire ne perçoit pas la lumière, prononcez hardiment que ces prétentions à la république sont de la jactance. Ou bien, si ce qui vous frappe de prime-abord, c’est que les mœurs sont relâchées, que les riches ont le goût de filles d’opéra, et que, parmi les ouvriers, un grand nombre, ceux-là surtout qui affichent le plus de transports pour la république, vivent dans la débauche ou le concubinage : n’hésitez pas ; affirmez que la république est une chimère ou un mensonge. Et comment celui qui méconnaît Dieu même, source de tout devoir, pratiquerait-il régulièrement ses devoirs envers la patrie avec ce zèle spontané qui est l’essence de la république ? Comment celui qui trébuche sur le grand chemin de la morale ordinaire suivrait-il les sentiers escarpés de la liberté politique, de ce pas ferme et sûr qui est l’allure nécessaire du républicain ? De même pour l’amour du luxe et des plaisirs, pour le dédain de l’économie. Comment des hommes qui dépenseraient le dimanche et le lundi tout leur salaire de la semaine seraient-ils les citoyens d’une république sincère ? Est-ce qu’on est apte à peser d’une manière quelconque sur les affaires de l’état, quand on mène ses affaires personnelles avec la plus parfaite imprévoyance ?

Aux États-Unis donc, c’est un principe bien affermi dans ceux des états qui donnent le ton, que la république n’a de fondemens solides que la religion, la morale, la simplicité. En conséquence, on exige de chacun qu’il se montre religieux, époux fidèle, qu’il soit simple et modeste dans son existence. Vous voulez être quelque chose dans la cité ou dans l’état ; voilà d’abord des gages qu’il faut que vous nous