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chemin des argus vigilans et sévères, qui ont planté des barrières en-deçà desquelles, jusqu’à présent du moins, il a fallu se tenir. C’est le sentiment religieux qui veut être respecté ; c’est la morale publique et privée qui ne supporte pas d’être violentée, et qui réagit vigoureusement contre qui l’insulte ; c’est aussi la loi.

Boston peut se vanter d’être le berceau des franchises du Nouveau-Monde. C’est là que se couva pendant deux siècles et demi, depuis le débarquement des pèlerins sur la plage de Plymouth jusqu’à la proclamation de l’indépendance, une liberté qui, une fois éclose, devait être irrésistible dans son essor. C’est à Boston qu’est parvenu à son développement le plus complet l’esprit de self-government qui remet à l’individu la direction de soi-même. Quand fut venu le moment d’affranchir les treize colonies, ce fut bien le sud qui fournit à la confédération naissante le plus grand de ses héros, celui dont l’autorité, la modération et l’inébranlable fermeté assurèrent le triomphe des armes américaines ; mais ce fut la population de la région dont Boston est le centre qui, plus qu’aucune autre, accomplit de ses mains cette belle révolution, et le palladium de l’indépendance était à Boston. Je ne connais pas d’hommes qui apprécient plus la liberté, qui l’utilisent avec plus d’intelligence, qui fissent plus de sacrifices pour la reconquérir s’ils l’avaient perdue, que la population des six états composant la Nouvelle-Angleterre, qui se résume en Boston autant qu’elle peut se résumer quelque part.

Cependant à Boston, si vous traversez avec un cigare l’espace planté nommé les Commons, qui est un des ornemens de la cité, vous serez condamné à une amende, si je m’en souviens bien de 5 dollars (27 francs). On ne veut pas que votre liberté de fumeur empiète sur la liberté du public, à qui il ne convient pas que sa belle promenade, quoiqu’il la fréquente peu, soit infectée de l’odeur du tabac. Le cigare fait vos délices ? fumez chez vous, citoyen.

Ce menu détail, que je prends entre une infinité d’autres, révèle un des caractères propres aux lois américaines. C’est une variété spéciale et définie de l’esprit réglementaire ; mais la teinte s’affaiblit à mesure qu’on s’éloigne du nord. Elle s’affaiblit par l’influence du climat sur les lois, qu’il est impossible de nier, lors même qu’on lui refuse l’étendue indiquée par Montesquieu. Elle s’affaiblit, parce que la population de la Nouvelle-Angleterre, ce type désigné souvent par le sobriquet d’Yankee, qui heureusement pour la prospérité de l’Union, a envoyé des essaims de ses enfans, ou tout au moins des sentinelles avancées, dans tous les états, compte moins de représentans dans le midi que dans le nord. Elle s’affaiblit parce que, dans les états à esclaves, l’habitude de la domination rend les blancs plus superbes, et qu’ainsi la loi est tenue, pour éviter d’être violée, d’être plus réservée dans ses injonctions touchant à la personne. Elle s’affaiblit parce que, en dehors de la