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deux cents lieues à la ronde admirer l’agencement des leviers et des roues et écouter le vacarme. Au lieu de cela, les Américains ont une bonne machine à vapeur bien simple, point encombrante, qui fait cent fois moins de bruit, remue cent fois moins de papier et fait cent fois plus de besogne. Pour en revenir à notre sujet, le mécanisme américain ménage extrêmement le temps et la liberté du citoyen. Je ne mets pas doute qu’une des raisons pour lesquelles les populations agricoles de la France, de la Suisse, de l’Allemagne, restent si froides pour nos terres d’Afrique, c’est qu’on ne s’y établit pas librement. Le gouvernement donne gratis des terres, des semences, du bétail, mais il ne donne pas la liberté d’acquérir ce qu’on veut, de se mettre où l’on veut, quand on veut et comme l’on veut. C’en est assez pour que ses dons soient dédaignés.

Cette réserve extrême de l’autorité à l’égard des entreprises du citoyen se retrouve de toutes parts dans la société américaine, lorsqu’il s’agit du travail et de la production de la richesse. Le citoyen, pour tout ce qui tient au travail, reste investi d’une liberté très grande. C’est un des cachets distinctifs de cette société, et, ce qui rend le fait plus remarquable, pour la consommation et le plaisir, la liberté ne demeure plus la même. Les lois et plus encore les mœurs fixent des bornes ; on verra bientôt comment.

La réserve de l’autorité est d’autant plus grande que l’autorité est plus éloignée. Les attributions des autorités locales sont relativement étendues. Telles elles sont notamment dans les six états dont le groupe est communément désigné sous le nom de la Nouvelle-Angleterre ; or ce groupe exerce sur les mœurs du pays une influence prépondérante, et, plus que tout le reste, il a contribué à faire l’Amérique ce qu’elle est. Là, chaque commune est par elle-même une espèce de république indépendante[1]. Pris dans son unité, chacun des trente états a une indépendance plus grande encore par rapport au gouvernement national séant à Washington. Celui-ci est restreint à un très petit nombre d’attributions générales très bien définies, dont il ne peut transgresser les bornes. Ainsi, les déclarations qui peuvent être nécessaire pour certains actes, les autorisations dont l’intérêt collectif de la société exige que chacun, en tout pays, fasse précéder certaines natures d’entreprises, on n’a pas en Amérique à les notifier loin de soi ou à les solliciter à grande distance. En cas de contestation, on n’a pas une juridiction administrative qui procède avec lenteur, ou s’adresse aux tribunaux. Toutes les formalités sont simplifiées, les écritures réduites à rien. Les affaires dans lesquelles la permission ou l’intervention quelconque

  1. Je renvoie à la Démocratie en Amérique le lecteur qui voudra savoir ce qu’est la commune dans la Nouvelle-Angleterre.