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employées surtout pour recruter de jeunes sujets, pour appeler les écrivains, comme le voulait la constitution instituée par l’ordonnance de 1847, que la république a détruite, et à laquelle il faudra bien revenir.

À notre avis, il n’y a qu’un moyen d’échapper à cette loi sagement mûrie : c’est que la direction du Théâtre-Français soit abandonnée à Mlle Rachel, ou du moins à l’homme de son choix et de sa prédilection, comme elle en a, on l’assure, manifesté la prétention un moment, mais en l’intéressant directement elle-même dans l’exploitation. Cette solution, après tout, en vaudrait peut-être une autre, et Mlle Rachel, qui a la force de jouer quatre-vingt-trois fois en trois mois quand elle joue pour sa propre caisse, saurait bien encore trouver l’énergie et la volonté nécessaires pour donner cent représentations en neuf mois sur un théâtre qui serait le sien, pour jouer les pièces qu’on lui ferait, pour servir la littérature, lorsque sa fortune personnelle en dépendrait. Nous livrons cette idée lumineuse aux méditations des hommes graves chargés depuis un an de réorganiser un théâtre toujours en voie de réorganisation ! Mais, pour en revenir à la question même, pourquoi donc, en définitive, tant de théâtres, quand il n’y a ni auteurs, ni acteurs, ni public pour les alimenter ? Pourquoi surtout l’Odéon, à moins qu’on n’ait pas assez de pauvretés ailleurs, et que l’état n’ait trop d’argent ? Nous défions l’homme le plus habile de découvrir assez d’écrivains dramatiques, musiciens, poètes, vaudevillistes même ou faiseurs de mélodrames pour suffire à sept ou huit théâtres à Paris, et il y en a peut-être encore plus de vingt, malgré tous les désastres que nous avons vus. Le ministre de l’intérieur, M. Dufaure, doit songer résolûment à prendre un parti sur cette question, et pour cela il n’a que faire des avis qu’on lui prépare depuis dix-huit mois ; il n’est besoin ni de la commission des théâtres ni de la direction des beaux-arts pour savoir ce qu’il y a à faire. Quiconque a réfléchi un peu là-dessus, quiconque a vu la situation sait à quoi s’en tenir. Les commissions en général, la direction des beaux-arts en particulier, sont peut-être ce qu’il y a de moins propre à donner un avis fécond et pratique en pareille matière.

En attendant qu’on le réorganise encore, le Théâtre-Français nous a donc donné quelques nouveautés et la rentrée de Mlle Rachel dans Horace, Phèdre et Mithridate. Quant aux nouveautés, il n’y a rien à en dire ; elles n’ont pas vécu et ne pouvaient vivre. Pourtant touts la presse a pris la défense de Séjan, et, voulant blâmer une fois l’illustre tragédienne, elle a reproché à Mlle Rachel de n’avoir pas abrité la pièce de M. Séjour sous son pavillon. M. Séjour a beaucoup d’amis dans les journaux, où il n’est guère pris au sérieux par le feuilleton, ce qui n’est pas d’un bon augure pour son avenir ; mais nous qui venons de dire quelques vérités à Mlle Rachel, nous la défendrons contre ses admirateurs ordinaires, et nous la louerons hautement d’avoir eu le bon goût de ne pas se charger du rôle de Fulvie, qui a d’ailleurs valu à une aimable actrice un succès de comédie comme elle n’en aurait jamais eu dans ses meilleures bouffonneries : c’est certainement ce que la représentation de Séjan avait de plus remarquable, lorsque Camille est venue lui donner le dernier coup. Pour avoir beaucoup voyagé et beaucoup travaillé, la tragédienne n’a rien perdu de sa force et de son amère ironie, et son public l’a reçue avec les mêmes applaudissemens que si elle lui revenait bonne princesse et sans mauvaise pensée. Le public, après tout, est plus malin qu’on ne pense, et il prend peut-être le meilleur moyen de retenir l’ingrate Hermione ; peut-être aussi ne croit-il guère aux menaces