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dévouement qu’on lui a montré pour chercher qu’à profiter des embarras que ce dévouement même a créés.

Nous prions qu’on nous pardonne de la dire, le pape se comporte un peu avec nous comme les radicaux italiens se sont comportés avec lui : il ne parait plus nous savoir gré des services que nous lui avons rendus, parce que nous ne sommes pas précisément à sa disposition pour l’obliger en d’autres points où il ne saurait nous convenir de l’aider. De ce que nous avons enlevé Rome à la démagogie, on en conclut trop vite, autour du saint-père, que c’est notre devoir de la livrer derechef à l’absolutisme théocratique, et l’on nous boude parce que nous ne nous accommodons point d’un retour en arrière auquel il n’est pas sûr que l’Autriche elle-même, dont nous parlions, voulût donner les mains. C’est donc là bien réellement l’histoire de Pie IX, mais à l’envers : de ce qu’il avait évoqué la liberté, on en a conclu qu’il était obligé de patroner la licence. Il a compris qu’il était temps de prouver aujourd’hui qu’on s’était trompé, et il le prouve de reste. Nous sommes bien obligés de l’avertir aussi qu’à son tour il a trop compté sur nous, comme on avait trop compte sur lui.

Notre credo nous met à l’aise. Encore une fois, nous n’aurions pas le moindre goût à voir le pape entouré du voile très peu mystique des fictions constitutionnelles et nous ne croyons pas que les Romains aient une fureur innée pour les délices du mécanisme parlementaire, mais les Romains, et nous entendons par Là les honnêtes gens de Rome, les Romains ne peuvent se résigner à la pensée de retomber sous l’empire des abus qui avaient signalé l’ancienne administration cléricale aux justes reformes de Pie IX lui-même. Nous ne croyons pas qu’ils aient tort dans leur désespoir, et ce serait, selon nous, une faute grave de les y abandonner. La politique de la France est tout entière avec eux sur ce point-là, depuis des années la France n’a pas tenu d’autre langage au saint-siège, et les puissances catholiques se sont unies à son influence pour la seconder. La sécularisation raisonnable de l’administration, l’intervention progressive des corps élus dans les affaires des communes, des provinces et de l’état, une assemblée consultative a défaut d’assemblée souveraine, tous ces changemens qui feraient aujourd’hui la joie de l’Italie et la tranquillité de l’Europe, si on les avait réalisés pour prix de notre récente victoire, étaient déjà indiqués dans le memorandum du 21 mai 1831. C’était encore le sens de notre direction en 1847, nous ne voulions ni plus ni moins, et ce n’était pas nous alors qui pressions le pape ; c’était, s’il nous en souvient, le pape qui nous accusait de lenteur. Aujourd’hui, les trimvirs rouges, qui usent si malheureusement à Rome de la procuration dont ils ont été investis à Gaëte, peuplent le gouvernement de prélats, de prêtres et de moines ; légations, magistratures et ministères sont livrés aux mains qui les occupaient sous Grégoire XVI. Les prisons se remplissent d’honorables suspects, les livres de Rosmini et de Gioberti sont mis à l’index comme une affectation de bravade. La réaction la plus aveugle poursuit et efface, quoi ? — les traces de la démagogie mazzinienne ? — non, les souvenirs des temps les plus prospères et des essais les plus justement applaudis de Pie IX. Pie IX s’abdique lui-même devant son entourage de Gaëte et de Naples, devant les conseils de l’absolutisme, autant qu’il se serait abdique, s’il eût fléchi dans Rome devant les émeutes radicales.

Il y a étranges illusions d’optique dans les aperçus de la faveur populaire.