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parade de tous les matins, que l’assemblée constituante s’agitait et que Dieu nous menait, il y a toujours au-dessous des hommes qui vivaient ; il y avait les grands passionnés, ceux qui, dans cette époque misérable, ont eu le bonheur de s’absorber dans un religieux enthousiasme ou dans une tendresse infinie, il y avait les adolescens qui aspirent les fraîches joies de la vie, les innocens qui veulent être heureux, il y avait les vieux routiers, les endurcis, les éclopés, tous ceux qui vivent des basses préoccupations et des soucis vulgaires, ceux qui se croient sages et habiles, parce qu’ils ont atteint l’âge où chaque jour nous apporte une ride et une petitesse, une laideur et un vice. Eh bien ! je le répète, il est curieux de suivre l’enchevêtrement des choses générales et des destinées particulières, de voir comment les révolutions repétrissent les caractères et comment le sort des individus s’enroule aux vicissitudes de la société, d’observer cette jonction mystérieuse où un sentiment de la vie ordinaire devient une opinion politique et où les événemens publics produisent des drames domestiques. Certes, pour de pareilles études, la scène est riche depuis deux ans en France et en Europe, et pour les Anglais, ces dilettanti qui contemplent d’un lieu sûr nos orages, il y a là ample matière de romans politiques.

Je saisis donc avec empressement l’occasion que m’offre Léonie Vermont pour aborder quelques questions, je ne dis pas plus graves, mais plus positives que celles qui d’habitude naissent de la critique d’un roman. Je trouve dans Léonie Vermont, au milieu de sentimens excellens, à côté de plusieurs peintures fines, élevées et fidèles de notre société contemporaine, des jugemens qui me paraissent injustes, des appréciations que je crois légères, des préjugés qui, au moment où nous sommes, me semblent contraires au but que poursuit évidemment l’auteur. Ces injustices, ces illusions, ces préjugés, appartiennent moins, il faut le dire, au roman lui-même qu’au parti légitimiste, chez lequel ils sont trop répandus ; ils seraient funestes, encore une fois, à l’avenir de ce parti, funestes à la société dans laquelle ils perpétueraient les divisions qui nous tuent, si on ne les combattait très franchement et très énergiquement. Mais, avant d’entamer ce côté sérieux, qu’on me permette d’indiquer rapidement le plan et les caractères de Léonie Vermont.

Le roman commence à la fin du règne de Louis-Philippe. Le comte de Briancour, ancien émigré, ancien colonel de la garde royale, avait été un des amis les plus intimes et les plus dévoués de la branche aînée. La révolution de 1830, le dépouillant de ses emplois et de ses pensions, le réduisit aux revenus d’un mince patrimoine. Il vécut depuis lors dans son château avec son fils, sa fille et deux enfans d’un ancien militaire qui lui avait autrefois sauvé la vie, et qu’il avait recueillis au