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ment comme un incalculable malheur, mais comme une humiliation sans mesure pour notre patrie. Alors un changement étrange s’est opéré dans bien des esprits ; les perspectives de l’histoire de ce dernier demi-siècle se sont soudainement déplacées. Nous avions été élevés à célébrer les bienfaits et la gloire de la révolution française, et nous avions espéré qu’elle avait enfin conduit la France dans un port de salut et de repos ; ces idées nous paraissaient établies au-dessus de toute discussion, elles étaient devenues en nous comme des préjugés de naissance, lorsque la révolution de février les a brutalement fauchées, ne laissant à la place qu’une déception honteuse et un doute plein d’effroi. Le procès de la révolution s’est rouvert aussitôt dans les consciences éclairées et honnêtes. L’impitoyable logique des faits a remis en question les principes que nous avions regardés jusqu’à ce jour comme incontestables. Nous avons cherché le point où la révolution a dévié. Nous avons vu qu’elle avait blessé au cœur ses œuvres légitimes et le génie de la France du même coup dont elle avait frappé le principe d’autorité et ses permanentes garanties La révolution de février était un châtiment ; tout châtiment contient une leçon ; toute leçon, une espérance. Pour ne pas désespérer de la France, nous nous sommes plu à la rêver telle qu’elle aurait pu être sans les fatalités révolutionnaires. Et voilà comment beaucoup de gens sont devenus légitimistes du lendemain.

Je ne sais ce qu’il adviendra de cette curieuse transformation ; mais, dans un temps où l’on fait pour se désennuyer des révolutions qui donnent le spleen, elle rompit, pour un moment du moins, la plate monotonie de notre existence. Je ne suis pas étonné qu’un esprit observateur, une imagination vive, une plume étrangère y ait trouvé le motif d’une intéressante étude de mœurs. Le roman qui a paru à Londres, il y a un mois, sous le titre de Léonie Vermont, est consacré à la peinture de cette nouvelle variation des esprits en France. Je ne serais pas surpris non plus que la lecture de Léonie Vermont fût fort recherchée en Angleterre. Je ne partage pas toujours la manière de voir de l’auteur de ce livre ; mais il est évident qu’il connaît la France, qu’il peint sur le vif, qu’il écrit dans notre mêlée. Puis les Anglais sont habitués au roman politique. Ils aiment à suivre, dans les combinaisons de la vie ordinaire, l’influence des affaires publiques. Au fait, c’est un attrayant spectacle que de voir derrière cet appareil artificiel de la politique l’homme véritable, celui qui travaille, qui sent, qui aime, qui doute, qui souffre, qui vit enfin. Le roman politique peut avoir l’intérêt des mémoires, avec ce double avantage de plus qu’il ouvre les coulisses pendant que la pièce se joue, et qu’il idéalise les caractères. Tandis que l’émeute nous arquebusait, que les clubs nous proscrivaient, que les journaux nous donnaient leur fatigante et infatigable