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SACS ET PARCHEMINS.

homme à me laisser abattre par une chiquenaude. Je comptais sur les inspirations de mon génie. Il me semblait impossible que M. Levrault ne courût pas ou ne fît pas courir après moi. Je me voyais déjà ramené en triomphe. Hélas ! tout m’a manqué. Levrault est resté au gîte, et mon esprit, si fertile en ressources, ne m’a rien suggéré. Jolibois, mon étoile a pâli ; les La Rochelandier l’emportent.

— Pas encore, monsieur le vicomte, pas encore. S’ils doivent l’emporter, à la grâce de Dieu ! mais nous aurons l’honneur de leur disputer la partie. Nous ne tomberons pas sans gloire, nous ne rendrons pas les armes avant d’avoir combattu. Allons, relevez-vous. Bon courage et bonne espérance ! Les destins sont changeans. Nous avons eu aujourd’hui notre défaite de Waterloo, peut-être aurons-nous demain notre victoire d’Austerlitz.

— Jolibois, noble ami, s’écria Gaspard, dont la figure brumeuse venait de s’éclairer comme par enchantement, verriez-vous un moyen de rentrer dans votre argent ?

— Je vois un moyen de rajeunir l’éclat du nom de Montflanquin ! s’écria Jolibois avec le ton inspiré d’un prophète.

Ils tombèrent dans les bras l’un de l’autre et se tinrent quelque temps embrassés.

— Dites, parlez, ce moyen, quel est-il ? demanda Gaspard avec avidité.

— Nous en causerons au dessert… Ah çà ! monsieur le vicomte, ajouta maître Jolibois en promenant un regard inquiet sur la table, est-ce que c’est là tout votre dîner ?

Et comme le vicomte baissait les yeux et ne répondait pas :

— Il ne sera pas dit, s’écria le notaire avec emphase, que j’ai vu le dernier héritier d’une famille autrefois puissante dîner, dans le château de ses pères, d’une gibelotte de lapin. Galaor, ajouta-t-il à voix basse, enfourche mon cheval, cours à Clisson et rapporte-nous de quoi boire et manger convenablement. Va, mon fils, c’est moi qui régale.

Et il lui glissa dans la main quelques pièces blanches.

Une heure après, Galaor était de retour et vidait sur la table deux énormes sacoches dont la vue acheva de ragaillardir le vicomte. Le repas fut joyeux. Les deux convives mangèrent et burent comme quatre. La confiance de Jolibois était passée dans le cœur de Gaspard. M. Levrault fit tous les frais de l’entretien ; on pense si les deux bons apôtres s’amusèrent à ses dépens. Ils s’en donnèrent à cœur joie et se le renvoyèrent comme une balle ou comme un volant. Si M. Levrault se fût trouvé caché dans un coin, il eût été satisfait, j’imagine. Au dessert, ainsi qu’il l’avait promis, maître Jolibois exposa le plan de la bataille qu’il se proposait de livrer le lendemain. Il s’agissait d’arrêter les progrès de La Rochelandier et d’emporter la position par un coup