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— Est-ce que, par hasard, monsieur le vicomte, vous me feriez l’injure de croire qu’en vous poussant dans cette entreprise, j’ai songé un seul instant à moi ? Est-ce que vous suspecteriez la sincérité de mon dévouement au point de supposer qu’en vous offrant une occasion de rétablir votre fortune, je ne cherchais que celle de rentrer dans mes fonds ?

— Je le dis hautement, s’écria le vicomte en relevant la tête, ce qui importe à un Montflanquin, ce n’est pas la richesse, c’est un blason sans tache. Pour vous, pour vous seul, Jolibois, j’ai pu consentir à m’humilier devant l’opulence.

— Je n’ai pas d’armoiries, mais j’ai des panonceaux, s’écria maître Jolibois avec fierté, et je tiens autant à les garder sans tache au-dessus de ma porte, que vous, monsieur le vicomte, à préserver votre blason de toute souillure. En vous dénonçant les millions de M. Levrault, je n’étais préoccupé que de vous, de l’avenir de votre maison. J’ai eu l’honneur de vous l’écrire : servir sans arrière-pensée les personnes que j’estime et que j’aime fut toujours ma plus douce loi.

— Voilà bien quelques années que je suis votre débiteur, reprit Gaspard sur un ton moins haut.

— De grace, monsieur le vicomte, ne parlons pas de cette misère. De quoi s’agit-il en réalité ? D’une somme de quatre-vingt mille francs dont vous avez négligé, depuis dix ans, de servir les intérêts. Si vous l’exigez, ajoutons-y, pour règlement de tout compte jusqu’à ce jour, les petites avances que je vous ai faites et qui vous ont permis de vous présenter avec avantage à la Trélade. Il n’y a rien dans tout cela qui doive troubler votre sommeil. Si, dans ces derniers temps, vous avez été un peu tracassé à cause des quatre-vingt mille francs, ce n’est pas à moi qu’il faut vous en prendre, mais à la succession de mon père.

— Ainsi, mon bon, mon cher Jolibois, vous voudrez bien attendre encore quelques semaines. Peut-être la fortune, acharnée après moi, se lassera-t-elle enfin de me poursuivre.

— À moins que vous ne vouliez m’offenser et me mettre à la porte, monsieur le vicomte, nous ne parlerons plus de cela. Vous ne m’avez pas raconté ce qui s’est passé à la Trélade après le retour de la petite ?

Gaspard dit tout, comme à un médecin ou à un confesseur, sans omettre le moindre détail.

— Eh ! vive Dieu ! s’écria Jolibois, les choses sont moins désespérées que je ne l’avais cru d’abord. Tout n’est pas perdu, monsieur le vicomte. Nous avons contre nous la fille, mais nous avons pour nous le père.

— Ce que vous dites là, mon pauvre Jolibois, je me le disais à moi-même en quittant la Trélade. Vous me connaissez, vous savez si je suis