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debout ; j’en connais plus d’un en Bretagne dont on n’en pourrait dire autant. J’ignore si la marquise est hostile à la bourgeoisie ; ce que je puis affirmer, c’est qu’elle ne m’a parlé de mon père qu’avec considération, de ses travaux qu’avec respect.

— C’est bien heureux ! dit M. Levrault en se caressant le menton.

— Enfin, monsieur le vicomte, poursuivit Laure en appuyant sur chaque mot, il n’est pas d’amitiés ni d’avances que la marquise ne m’ait faites, avec un charme, un esprit, des manières dont rien, je dois l’avouer, n’avait pu jusque-là me donner une idée. Quant au jeune marquis, s’il est fier, c’est que sans doute il a ses raisons pour cela. Il ne me déplaît pas qu’un gentilhomme porte haut la tête.

— Mademoiselle, répliqua Gaspard avec un fin sourire, la marquise est une bonne mère. Peut-être qu’en cherchant bien, vous finiriez par trouver le secret de ses cajoleries.

— Qu’entendez-vous par là, monsieur le vicomte ? riposta Laure d’un ton mutin. Est-ce à dire qu’on ne saurait choyer et fêter en moi que la richesse de mon père ? En cherchant le secret des cajoleries de la marquise, peut-être trouverait-on celui des prévenances dont nous avons été comblés dès le soir de notre arrivée à la Trélade.

Ici Gaspard se leva, pâle et froid de colère. Plus pâle que Gaspard, M. Levrault, muet d’épouvante, regardait tour à tour sa fille et le vicomte, et se demandait s’il n’assistait pas à la ruine de ses espérances. Ce qui le rassurait un peu, c’est qu’il pensait rêver et se croyait le jouet d’un abominable cauchemar.

— Restez donc assis, monsieur le vicomte, reprit Laure d’une voix mielleuse et sans avoir l’air d’y toucher. Je n’ai pas eu, croyez-le bien, l’intention de vous offenser. Je ne vous ai jamais fait l’injure de mettre en doute le désintéressement de votre affection, la loyauté de votre caractère. De grace, asseyez-vous. Je ne veux pas que nous nous quittions de la sorte. S’il m’est échappé quelque parole étourdie qui ait blessé en vous des susceptibilités légitimes, soyez généreux et pardonnez-moi.

— À la bonne heure ! s’écria M. Levrault, que ces derniers mots avaient rappelé à la vie ; mais à qui en as-tu ? quelle mouche te pique ? Donnez-vous la main, mes enfans, et, pour Dieu ! laissez là les La Rochelandier.

Gaspard lui-même se croyait sauvé. Il prit les doigts de la jeune fille ; mais, comme il allait les porter à ses lèvres :

— Monsieur le vicomte, dit Laure avec un impitoyable sang-froid, si, pour nous égayer un peu, nous parlions du chemin du diable ?

Gaspard tressaillit et retira sa main, comme s’il eût senti des griffes s’allonger traîtreusement sous de velours et s’enfoncer brusquement dans sa chair.