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vous seconder. En pareil cas, accordez-la-moi tout entière, et soyez sûr que du moins vous ne sauriez la mieux placer.

« J’écris à ce pauvre garçon[1] par ce même courrier, et je lui témoigne ma surprise de recevoir de vous une lettre pour lui, et le regret que j’ai que vous n’ayez pas pu vous voir. Il faut qu’il n’ait pas été sûr de passer vingt-quatre heures à Paris paisiblement pour ne vous avoir pas appelé. Nous avons su qu’en effet il y avoit trouvé en arrivant bien des sujets de surprise, et eu des contradictions qui dévoient lui donner une grande envie de repartir.

« Avez-vous quelquefois des nouvelles de Mme Lucile ? Il y a un temps infini qu’elle ne nous a écrit. Nous avons su qu’elle avoit été fort malade et au point que son frère en a été fort inquiet. Dites-nous à ce sujet ce que vous savez.

« Vous nous négligez et vous êtes plus paresseux que moi dans le commerce épistolaire. C’est pour mon amour-propre un triomphe dont je gémis et dont nous pâtissons.

« Portez-vous bien, du moins, et soyez le plus heureux que vous pourrez.

« P. S. — Nous partirons pour Paris de demain en quinze sans faute.


Au même.

Paris, ce 10 mai 1804.

« Votre dernière lettre a attendu quelque temps mon arrivée, et j’ai attendu le retour de Chateaubriand pour répondre à la seconde.

« Il se porte bien ; il vous a écrit. Rien de fâcheux ne lui est arrivé. Mme de Chateaubriand, lui, les bons Saint-Germain que vous connoissez[2], un portier, une portière et je ne sais combien de petits portiers logent ensemble rue de Miroménil, dans une jolie petite maison. Enfin notre ami est le chef d’une tribu qui me paroît assez heureuse. Son bon génie et le ciel sont chargés de pourvoir au reste.

« Il a passé dix jours à la campagne avec la moitié de sa peuplade. Je l’ai vu hier au soir ; il est content. Vous saurez à votre arrivée tout ce qui pourroit intéresser d’ailleurs votre curiosité.

« Mettez-moi au nombre de ceux qui vous reverront avec le plus de plaisir et qui se trouveroient le plus heureux s’ils pouvoient vous servir.

« Une grande partie de notre maison est malade depuis quinze jours ; mais les malades et les sains me chargent avec le même zèle de vous faire leurs complimens.

« Mon frère Élie se donne de grands coups de poing de ne vous avoir pas remercié de je ne sais quelles poulardes et quelles carpes dont les plus dégoûtés de la famille parlent encore avec un souvenir glouton. Il n’y a pas beaucoup de noblesse à tout cela, mais il y a de la cordialité et de la reconnoissance.

Portez-vous bien, et arrangez-vous de manière à venir le plus tôt possible. J’ai rencontré Michaud, qui m’a paru gras. Je lui ai rendu sa salutation avec plus de bonne grace que je n’aurois fait sans cet incident. Comme il est changé, ma rancune a été surprise, et il ne lui a pas été possible de rester la même.

« Vous êtes sûr, à compter d’aujourd’hui, que vos lettres m’arriveront exactement,

  1. Toujours Chateaubriand.
  2. C’étaient des gens de Mme de Beaumont que M. de Chateaubriand avait pris chez lui.