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auprès de lui le marquis des Alleurs. La Transylvanie se trouva alors une dernière fois livrée à toutes les horreurs de la guerre civile. Les insurgés hongrois appelèrent de nouveau les Turcs, et tout semblait remis en question. Les victoires des alliés sur les armées françaises contraignirent enfin les mécontens à conclure la convention de Szathmar (1711). Cette convention termina, jusqu’à nos jours du moins, les longues luttes des Hongrois et des Transylvains avec la maison d’Autriche. Ràkoczy, qui n’avait point voulu souscrire à ce traité, se réfugia en France. Il y fut traité avec toute sorte d’honneurs et de distinction par Louis XIV. « Il était, dit Saint-Simon, de toutes les parties, et de tout, avec ce qu’il y avoit de meilleur à la cour, et sans mélange. Il avoit gagné entièrement Mme de Maintenon, et par elle M. du Maine. Le goût à la mode de la chasse, avec quelque soin, lui familiarisa M. le comte de Toulouse jusqu’à devenir peu à peu son ami particulier, voyant le roi assidument et seul dans son cabinet dès qu’il en désiroit des audiences. » L’esprit d’aventure et d’entreprise l’emporta ailleurs : il quitta la France pour Constantinople, où il était allé chercher de nouveaux ennemis à la maison d’Autriche. Il mourut à Rodosto sur les bords de la mer de Marmara. Les fortunes si diverses de ce dernier des princes transylvains avaient vivement frappé les imaginations du dernier siècle ; les mémoires du temps le prennent souvent comme un des exemples de la mobilité de la fortune. Saint-Simon, qui l’avait beaucoup pratiqué, « ne peut pas comprendre comment un homme qui, après tant de tempêtes et avoir fait un tel bruit, trouve un tel port, se rejette de nouveau à la merci des vagues. » Mme Dunoyer écrivait « Il n’y a pas de bonne société ici sans le prince Ràkoczy. On ne sait ce que l’on doit le plus admirer en lui, de son grand génie ou de ses grandes infortunes. » Enfin, quelques années plus tard, Voltaire, qui avait entendu, dans sa jeunesse, les récits de cette vie héroïque et aventureuse, voulant montrer, dans un roman célèbre, ce que deviennent et la beauté et la grandeur, mettait en même lieu la vieille Cunégonde et l’exilé Ràkoczy : « Candide retrouvait sa chère Cunégonde lavant les écuelles sur les bords de la Propontide, chez un prince qui avait très peu d’écuelles ; elle était esclave dans la maison d’un ancien souverain nommé Ràkoczy, à qui le Grand-Turc, de son côté, donnait trois écus par jour. »


IV

Léopold avait juré de maintenir la constitution de la Transylvanie. Promettre de faire durer cette constitution telle qu’elle était sortie du hasard et des révolutions de sa courte histoire, s’engager à faire entrer dans l’édifice, chaque jour plus régulier, de l’Europe du XVIIIe siècle,