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toutes les traditions, les récits populaires et les légendes de chaque ruine : il n’est pas de château où on ne vous montre avec fierté quelque arme, quelque sabre ayant appartenu aux héros de ces temps glorieux, les Bathory, les Bethlem Gabor, les Toekély. La célèbre mélodie de Ràkoczy retentit jusque sous les dernières tentes des Szeklers la frontière turque, et son image, grossièrement enluminée, se place dans les plus pauvres maisons à côté de l’image sainte du patron.

Il faut lire cette partie de l’histoire de la Transylvanie dans les auteurs nationaux ou dans les mémoires mêmes que nous ont laissés les principaux acteurs de ces luttes. Là seulement ces temps peuvent revivre avec les passions, les bizarreries de mœurs et de coutumes qui excitaient si vivement l’intérêt de l’Europe, alors que les presses de la Hollande multipliaient incessamment les manifestes et les relations des mécontens hongrois et transylvains. Nous avons hâte d’arriver à l’époque où la Transylvanie passa définitivement sous la domination autrichienne. Il importe de s’arrêter sur les faits qui amenèrent l’incorporation de la principauté à l’empire pour juger la légitimité de la cause qui se débat aujourd’hui sur les rives du Danube ; d’ailleurs la vie du dernier prince transylvain, Apafy, à part les qualités brillantes qui lui manquaient, est une image assez fidèle du règne et de la politique de ses prédécesseurs. On y voit le même mélange d’ambition, d’entreprises hardies, et aussi d’hésitations et de reviremens soudains dans les alliances. C’était la conséquence forcée de la situation politique et géographique du pays : selon l’issue de la lutte séculaire engagée entre l’Autriche et la Porte, la Transylvanie devait devenir une province de l’empire ou un pachalik turc. Les publicistes qui attaquent au nom de l’indépendance et de la liberté nationales la domination autrichienne en Transylvanie ne sont pas dans le vrai. La Transylvanie n’a eu à choisir qu’entre deux maîtres ; valait-il mieux pour elle avoir des gouverneurs autrichiens ou des pachas turcs ? Voilà la véritable question.

On touchait à la fin du XVIIe siècle. Le second Ràkoczy avait abdiqué la couronne ; mais ses partisans n’avaient pas voulu accepter la nouvelle élection faite par les états. La guerre civile avait éclaté, ou plutôt elle continuait toujours ; les impériaux, Montécuculli à leur tête, soutenaient le nouveau prince, Jean Kémeny. Les Turcs et les Tartares ravageaient le pays sans pouvoir trop dire pour le compte de quel compétiteur : toute la contrée « était une plaie ou un incendie, » dit un contemporain. Le pacha turc voulut se mettre en règle et avoir aussi un prétendant. Il y avait dans un château voisin un gentilhomme nommé Michel Apàfy, déjà éprouvé par des fortunes diverses. Il avait été emmené, captif de bonne heure par les Tartares en Crimée ; sa jeunesse et sa bonne mine avaient touché la fille de son maître, qui lui avait fait rendre la liberté et l’avait suivi en Transylvanie. Ce mariage l’avait