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contrecoup. Les Valaques paient ainsi les premiers frais de l’intervention russe en Autriche, et la Turquie, dont les Hongrois attendaient peut-être la bienveillance et l’appui moral, est réduite à se prêter aux combinaisons qui leur sont hostiles.

Après les paroles belliqueuses de M. Drouyn de Lhuys en faveur de la Hongrie, on a pu s’attendre à voir du moins une résistance organisée à Constantinople pour protéger le divan contre cette fatalité non pourtant inexorable de l’influence russe. L’attente était illusoire : si l’on a défendu la position que la fortune offrait à la Turquie et à ses alliés, on ne l’a défendue qu’avec mollesse, et cette profonde et persévérante prudence que nous admirons avec une patriotique douleur, cette habileté moscovite non encore assez bien comprise, nous a montré une fois de plus ce qu’elle peut contre l’inexpérience et la timidité de notre diplomatie. Les obstacles ont donc été écartés par la Russie, et une nouvelle carrière s’ouvre en Autriche à l’activité de son cabinet. Nous sommes persuadés qu’il compte pour vaincre tout autant sur cette même prudence traditionnelle dont il est si remarquablement doué que sur la force des armes. Ses moyens d’action en Hongrie sont politiques autant que militaires. Le principal est dans cette terrible machine de guerre qu’on est convenu d’appeler le panslavisme. Opprimés naguère par les Magyars, trahis hier par le cabinet de Vienne, inquiets d’un avenir qui se présentait à eux plein d’éclat, le jour où Jellachich sauvait l’empire et faisait un empereur, les Slaves autrichiens, en général, envisagent jusqu’à à nouvel ordre, avec une égale défiance, le triomphe des Magyars et celui des Autrichiens. « Nous avons prophétisé, dit un journal de la Croatie ; que si la diète constituante de Kremsier était dissoute, il n’y aurait plus jamais d’autre diète autrichienne. Nous l’avons dit et nous le répétons, la charte octroyée sera mise comme épitaphe sur le tombeau de la monarchie… Celui qui se noie s’accroche même à un rasoir, dit notre proverbe croate. Depuis les triomphes de Dembinski, la cour a vite changé de langage vis-à-vis de nous. Effort inutile ! car le fatal trop tard, avec toutes ses lugubres conséquences, est sorti de nos cœurs désespérés. » En Bohême, les efforts de l’Autriche sont les mêmes, et le langage des populations ressemble aussi très fort à celui des Croates. « Aux sollicitations du cabinet, dit une feuille de Prague, nous et les nôtres nous n’avons à répondre que par le silence et l’indignation. Nous qui seuls empêchâmes aux jours d’octobre notre nation de marcher en masse contre Vienne, nous qui seuls, jusqu’à présent, possédions la confiance de nos concitoyens, nous sommes réduits à céder maintenant la place à nos rivaux politiques sans pouvoir leur opposer autre chose qu’un sombre silence. » Tels sont les sentimens, telle est l’attitude de ces mêmes peuples, qui avaient embrassé avec tant d’ardeur et d’enthousiasme la cause de l’Autriche.

Si M. Kossuth avait eu la prudence d’accorder aux Slaves le principe de l’égalité internationale qui tue les Magyars comme peuple conquérant et dominateur, mais qui les sauve comme race, la colère des Slaves du nord et du sud contre l’Autriche pouvait tourner au profit de l’insurrection hongroise ; mais les Magyars, très loyaux pourtant envers les Polonais, n’ont point encore accompli ce sacrifice si coûteux à leur amour-propre, malgré les sollicitations incessantes des Polonais et de tous les slavistes libéraux, et, tant qu’il y