Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/944

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

au jugement des armes. « Dieu est avec nous, » dit souvent M. Kossuth aux paysans qu’il passionne par ses improvisations dithyrambiques. « Dieu est avec nous, dit aussi l’empereur de Russie, notre but est saint. » Dans l’intention de rendre plus certaine cette protection divine, la diplomatie russe redouble d’activité auprès des divers cabinets de l’Europe. Pendant qu’elle reconnaît la république française, elle tente à Constantinople un suprême effort pour désintéresser la Turquie à bon compte dans les affaires de l’Autriche.

On sait comment a échoué une première proposition du général Grabbe en vertu de laquelle les détroits eussent été ouverts à la marine militaire de la Russie dans l’intérêt d’une alliance étroite entre le czar et le sultan. Cette proposition a été repoussée catégoriquement et vivement. Le général Grabbe cependant, à la vue de l’incertitude de la diplomatie anglo-française, ne s’est point tenu pour battu. Avec l’aisance d’un diplomate qui ne se déconcerte point pour une défaite, il s’est contenté de quitter le terrain sur lequel il avait reçu cet échec, afin d’agir sur un autre point. Le divan ne demandait pas mieux que de repousser de nouveau toute convention qui engagerait sa politique, à la condition pourtant que les cabinets amis, la France et l’Angleterre, feraient quelque efforts pour sauvegarder le principe de la suzeraineté ottomane dans les principautés du Danube ; mais, les deux cabinets ayant fini par déclarer ou par laisser voir clairement qu’ils regardaient la lutte de la suzeraineté et du protectorat comme une question de traités entre le sultan et le czar, et non comme une question de droit des gens européen, le divan devait accueillir toute pensée d’arrangement qui garantirait l’évacuation des principautés et éloignerait ainsi une bonne fois les charges et les périls d’une occupation indéfiniment prolongée. Le général Grabbe faisait de ce principe de l’évacuation la base du nouvel arrangement qu’il offrait de signer. Sans doute ses propositions étaient de nature à inquiéter douloureusement les populations valaques. Si, en effet, il stipulait en principe que la Valachie devrait être un jour évacuée, ce terme n’était pas fixé. Puis le protectorat dont le joug pesant avait été le motif de la révolution allait toujours subsister. On promettait assurément aux Valaques une réforme de leur constitution ; mais cette réforme devait s’accomplir sous l’influence de l’occupation, et c’est assez dire qu’elle avait peu de chances d’être libérale. La Turquie a cédé. Ce n’est point sa faute ; elle a constamment lutté pour obtenir des conditions plus équitables en faveur de ces principautés qu’elle défend avec loyauté contre la terreur et l’oppression des armées du protectorat. Que la responsabilité en revienne à qui de droit ; dans l’isolement où l’Europe libérale s’obstine à laisser la Turquie et où lord Palmerston semble prendre un malin plaisir à la conduire, elle pouvait difficilement repousser une convention qui, à défaut d’un gain plus grand, sauve du moins le principe de la suzeraineté ottomane en Valachie

Pour le czar, le point important de cette sorte de convention, c’est qu’elle lui permet, sans perdre beaucoup de terrain dans les principautés, d’en tirer immédiatement un corps d’armée capable d’agir en Hongrie, tandis qu’un autre corps de trente mille hommes reste en observation sur la frontière de la Transylvanie jusqu’à la pacification de cette principauté. L’influence russe, eût pu perdre là une grande bataille après son premier échec ; elle a remporté, au contraire, un avantage dont l’armée magyaro-slave ressent dès aujourd’hui le