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tous les quinze ans, à peu près, vous changez entièrement votre personnel politique, et que la France est en mesure de fournir ainsi un nouveau personnel chaque fois qu’il le faut. » L’admiration de lord Ponsonby touchait, je crois, de bien près à l’épigramme, et nous concevons qu’avec les habitudes de l’Angleterre où une puissante aristocratie, habilement divisée en deux partis, garde le gouvernement entre ses mains et parait changer sans jamais se détruire, nous concevons que ces renouvellemens intégraux puissent étonner ; mais que voulez-vous ? notre pays ne comporte pas autre chose. Sa politique et son administration y perdent peut-être quelque chose ; mais toutes les fois qu’une administration a voulu durer, toutes les fois qu’une politique a essayé de se perpétuer, nous y avons perdu bien davantage, car cela a fini par une révolution. Il faut donc, chez nous, que la figure du monde politique change sans cesse : il faut que chacun y ait part. Les parts sont bien petites ; mais nous faisons notre politique à l’image de notre propriété. Nous n’avons pas de grandes propriétés, nous n’en avons que de petites, et ce morcellement de la propriété est ce qui nous a sauvés. Chacun a eu son morceau de terre à défendre. S’il y avait eu beaucoup de grandes propriétés, la majorité, hélas ! se fût peut-être bien vite entendue pour les partager. Peut-être même est-ce le danger de l’heure présente que la guerre s’établisse non pas entre ceux qui ont beaucoup et ceux qui n’ont rien, personne chez nous n’a beaucoup, mais entre ceux qui ont peu et ceux qui n’ont rien. Quoi qu’il en soit, avec une société ainsi faite, de même qu’il y a beaucoup de petits propriétaires, il faut qu’il y ait aussi beaucoup d’hommes qui prennent part à la politique : il faut que tout le monde puisse entrer dans le forum. Mais de cette manière, dira-t-on, il arrivera de deux choses l’une : ou bien on ne fera pas de bonne politique dans des assemblées aussi mobiles, — cela est possible, — ou bien la politique et l’administration s’éloigneront chaque jour davantage du sein des assemblées nationales ; — cela est possible encore. Cependant comme le contraire, c’est-à-dire la concentration de la discussion et de la délibération politiques entre les mains d’une classe spéciale choisie dans la nation est une chose encore plus impossible avec notre caractère national ; comme la tentative de créer une classe de ce genre, soit avec l’aristocratie bourgeoise sous la restauration, soit avec la bourgeoisie aristocratique sous la monarchie de juillet ; comme cette tentative a perdu tous les gouvernemens qui l’ont faite, comme la constitution de 1848 a voulu des assemblées tantôt de neuf cents membres et tantôt de sept cent cinquante pour multiplier et mobiliser du même coup les membres de la puissance publique, nous sommes forcés de prendre notre parti de ces renouvellemens plus ou moins intégraux du personnel politique dans les assemblées nationales et de chercher le remède au mal dans le mal même, c’est-à-dire de faire en sorte que le pays s’attache à son gouvernement, voyant que tout le monde y prend part à son tour. Il faut nous dire que si, de cette façon, nous ne sommes pas toujours très bien gouvernés, nous avons du moins le plaisir de nous gouverner nous-mêmes.

Nous n’exprimerions pas toute notre pensée sur le personnel de l’assemblée législative, si nous n’exprimions pas nos regrets sur l’absence de quelques hommes qui faisaient partie de l’assemblée constituante, et que le suffrage universel a écartés. Comme c’est le privilège du regret de pouvoir être impartial à son aise, nous regrettons du même coup d’anciens amis et d’anciens adver-