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tiques il faut plus de temps à la vérité pour se faire reconnaître que dans tous les autres gouvernemens.

Il y a eu dans les illusions du parti modéré d’autres causes que celle que nous venons d’indiquer. Ce pays-ci a besoin de souffrir pour comprendre. Il ne voit le mal que lorsqu’il le sent ; il n’a de discipline qu’en face du danger ; il ne conçoit la règle que sous la forme de la nécessité. Or, cet hiver, il y a eu quelques éclaircies d’aisance et de sécurité, et, voyant ce rayon de soleil, les bourgeois de Paris se sont dit à l’envi : Voilà le bon temps revenu ! La révolution de février n’a été qu’un accident et une surprise : voilà tout réparé ou à peu près ; il y a des bals, des concerts, des soirées ! Vous voyez bien que la république n’est pas si méchante qu’elle en avait l’air. Ceux qui n’avaient pas le cœur à la danse, ceux-là se taisaient, de peur de s’entendre dire qu’ils étaient d’anciens satisfaits, aujourd’hui désespérés. D’ailleurs, disaient les politiques, il faut bien faire aller le commerce. — Mauvais principe, et avec lequel on a établi les ateliers nationaux. Créer du travail aux ouvriers et du commerce aux marchands, quand tout cela ne vient pas de soi-même, c’est une duperie ruineuse ; c’est faire en politique ce que font dans les jardins chinois ceux qui mettent des ponts où il n’y a pas de rivière.

Croire qu’il n’y aura plus de tempête parce que le soleil a reparu, qu’il n’y aura plus de vent parce que l’air est calme, croire toujours que tout est fini, vieille maladie de notre pauvre pays qui se promet sans cesse l’éternité aux lendemains de ses mille et une révolutions ! Voilà l’illusion qui a égaré le parti modéré. Quant à nous, nous ne faisons pas contre fortune bon cœur ; cependant nous sommes tentés de nous applaudir que les élections n’aient pas plus réussi, car nous aurions eu à lutter contre les divisions de notre parti ; mieux vaut lutter contre l’ennemi commun à mesure que l’on espérait voir la montagne s’abaisser, les nuances et les distinctions se faisaient dans le parti modéré, tellement que ces commencemens de division sont, à l’heure qu’il est, un des embarras de la situation.

Non-seulement nous avons besoin du danger pour avoir de la discipline ; nous en avons besoin aussi pour comprendre ce que nous oublions sans cesse, à savoir que nous sommes en révolution. Ici expliquons bien notre pensée. Il y a une constitution, et beaucoup de gens en concluent que la révolution est finie. Pour eux, en effet, une révolution qui a fait sa constitution est une révolution close et finie. Nous respectons beaucoup l’histoire légale des événemens ; mais, quand nous voulons savoir un peu ce que sera l’avenir, nous tenons plus grand compte de l’histoire morale et politique que de l’histoire légale. Or, que nous dit l’histoire morale et politique de notre pays depuis le 24 février ? Elle nous dit que la révolution ne s’est pas faite au 24 février, mais qu’elle se fait tous les jours depuis le 24 février. Le 24 février est un coup de main qui a détruit la royauté ; mais, de bonne foi, est-ce de la royauté, est-ce de la forme politique du gouvernement qu’il s’agit en ce moment ? N’est-ce pas du maintien de la famille et de la propriété ? Voilà les deux dynasties que l’on veut détruire. Où sont ceux qui voulaient se borner à des changemens politiques ? Ils ont disparu dans les élections Pourquoi ? Parce qu’ils procédaient seulement du 24 février. Le 24 février n’est pas une révolution. Il a créé la république, mais la république elle-même n’est pas une révolution. C’est le socialisme qui est la révolu-