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n’a pas gagné tous les lots ; mais tout cela était prévu, prédit, écrit, pour ainsi dire, par avance dans le texte même de nos lois. Vous qui vous récriez, vous aviez donc oublié deux choses : la révolution et la constitution de 1848 !

Hélas ! oui, nous l’oubliions, mais d’autres ne l’oubliaient pas. Pendant que Paris déridait son front et dépouillait ses vêtemens de deuil, pendant que nous allions admirer son éclat renaissant dans ses fêtes et ses promenades ranimées, pendant que nous respirions la douceur de l’air et que notre poitrine soulagée reprenait haleine, d’autres, à nos côtés, sous nos yeux, ne perdaient pas une seule minute de ces jours de trêve. Incessamment mêlés à la foule, ils allaient compter tout ce que le spectacle de la richesse, même modeste et bienfaisante, peut faire passer d’impressions pénibles dans le cœur des moins heureux. Ils versaient de nouveau le venin dans les blessures à peine cicatrisées. Pendant que nous regardions défiler ces belles troupes, symbole de l’ordre et défense de nos nuits tranquilles, ils se souvenaient qu’à un jour donné ces armes étaient tombées comme d’elles-mêmes des mains qui les tenaient, et, pénétrant dans les rangs, ils s’ingéniaient à retrouver le secret de ces étranges défaillances. Si les orages de l’an passé avaient laissé entre eux quelques différends, ils les accommodaient en silence. Coups de fusil échangés sur la place publique, coups de poing assénés dans la salle des conférences, outrages empruntés aux grossiers vocabulaires des halles, calomnies réciproques, tout était effacé, tout cédait à l’entraînement d’une haine commune. Des listes où se trouvaient côte à côte ceux qui avaient ordonné la mitraille en juin et ceux qui l’avaient reçue en pleine poitrine émanaient de l’officine du parti, et la consigne, répétée tout bas de bouche en bouche, passait de Dunkerque à Perpignan. Pendant ce temps, que faisaient les défenseurs de l’ordre ? Ils dépensaient à plaisir, en fantaisies individuelles, un petit trésor de forces amassé au prix du sang. Chaque couleur, chaque nuance avait son candidat de prédilection. Beaucoup ne trouvaient pas leurs opinions suffisamment bien représentées, si elles ne l’étaient en leurs personnes. La plupart des départemens s’isolant, dans une humeur assez légitime, mais exagérée, contre la capitale, procédaient chacun à sa guise, sans envoyer de lumières et sans accepter de conseils. S’agissait-il de prêcher l’union ? l’éloquence ne tarissait pas. S’agissait-il de la pratiquer ? tout le monde faisait ses réserves. Le marchand de Paris s’inquiétait de la réaction : l’excès du bien lui paraissait, disait-il avec complaisance, redoutable autant que l’excès du mal. Le paysan de Bretagne voulait, en fait d’opinion, des traditions et des quartiers irréprochables ; le protestant du midi préférait le credo révolutionnaire au symbole de la foi catholique. Si les hommes éminens de chacun des anciens partis politiques s’essayaient à opérer entre eux des transactions