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les rendre aussi familières que le peuvent faire chez nous les hommes qu’on appelle par excellence les représentans du peuple. Enfin, ce qui est particulièrement essentiel dans une démocratie, la communauté de pensées nobles et généreuses, l’amour de la gloire et le respect de soi-même, tous ces sentimens étaient entretenus et fortifiés sans cesse parmi ces citoyens qui, riches ou pauvres, laissaient à des esclaves tous les travaux manuels et bas.

Car il faut bien le dire, il y a des professions inférieures les unes relativement aux autres, et, quelque partisan de l’égalité que l’on soit, il est impossible de les avoir toutes en même estime. Interrogez ces ouvriers qui travaillent ensemble à bâtir un édifice. Voyez la fierté de celui qui vous dit qu’il est maçon et l’air humilié ou colère de cet autre, obligé de convenir qu’il est garçon. Le premier se croit le bras droit de l’architecte, le second sait qu’il n’est que le bras droit du maçon, pour lequel il prépare les pierres et le plâtre. Que sera-ce si l’on compare des professions encore moins rapprochées, si l’on oppose, par exemple, aux travailleurs de la pensée les travailleurs de l’aiguille ou du hoyau ? Les premiers, qui ont des idées philosophiques, aujourd’hui surtout, ne se croiront peut-être pas plus utiles que les autres à la chose publique et fraterniseront volontiers avec les artisans ; mais ces derniers se défendront-ils toujours d’un sentiment de jalousie et ne réclameront ils pas quelquefois l’égalité de droits d’une façon qui ne sera ni modérée ni fraternelle ? Dans nos sociétés modernes, la position de l’ouvrier vivant du salaire que lui donne un de ses concitoyens tient de celle de l’homme libre et de celle de l’esclave. Dans les sociétés antiques, les deux positions étaient nettement tranchées, et, à vrai dire, tout homme libre était un être privilégié, un aristocrate.

Ces tristes réflexions m’ont entraîné un peu loin du livre de M. Grote. J’y reviens pour signaler un de ses chapitres les plus remarquables, celui où il raconte et explique l’étonnante prospérité d’Athènes, si voisine de sa ruine, complète en apparence, à la suite de l’invasion persane. Rien de plus extraordinaire et de plus intéressant, en effet, que d’étudier un si prodigieux changement de fortune. Les mêmes hommes qui avaient vu deux fois l’Acropole au pouvoir du barbare, leurs temples détruits, leurs maisons livrées aux flammes, ces mêmes hommes, pour qui le sol de la patrie n’avait été long-temps que le tillac de leurs galères, se retrouvaient causant à l’ombre des portiques de marbre du Parthénon, au tintement de l’or mesuré par boisseaux dans le trésor de Minerve ; devant eux s’élevaient les statues d’or et d’ivoire, ouvrages de Phidias, ou, s’ils portaient la vue plus au loin, elle s’arrêtait sur une mer couverte de vaisseaux apportant au Pirée les productions de tout le monde connu. Bien plus, ces vieux marins que les Perses avaient réduits quelque temps à la vie des pirates, maintenant commodément