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Voilà dans sa nudité le fait raconté par Hérodote en poète et en poète grec, c’est-à-dire qui recherche le beau et le met en relief avec autant de soin que quelques poètes aujourd’hui recherchent le laid et se complaisent à la peinture des turpitudes humaines. La fiction, dira-t-on, vaut mieux que la vérité. Peut-être ; mais c’est en abusant des Thermopyles et de la prétendue facilité qu’ont trois cents hommes libres à résister à trois millions d’esclaves, que les orateurs de l’Italie sont parvenus à laisser les Piémontais se battre tout seuls contre les Autrichiens.

Ce n’est pas chose nouvelle que de reprendre Hérodote, et le bonhomme a été si mal traité autrefois, qu’en faveur de la justice tardive qu’on lui rend aujourd’hui, il pardonnera sans doute à M. Grote quelque réserve à se servir des admirables matériaux qu’il nous a laissés. Contredire Thucydide est une hardiesse bien plus grande, et l’idée seule a de quoi faire trembler tous les érudits. J’ai cité tout à l’heure une erreur, volontaire ou non, d’Hérodote ; en voici une de Thucydide beaucoup plus grave, et qui n’a point échappé au sévère contrôle de M. Grote. Sa critique est-elle juste ? On peut le croire : pour convaincre Thucydide, M. Grote n’emploiera d’autres preuves que celles que lui fournira Thucydide lui-même.

Il s’agit du jugement célèbre qu’il porte contre Cléon. C’est à Cléon, pour le dire en passant, que nous devons « l’histoire de la guerre du Peloponnèse, » car il fit bannir Thucydide, qui, voyant se fermer pour lui la carrière politique, écrivit l’histoire de son temps. La postérité, loin d’en savoir gré à Cléon, a toujours fait de son nom un synonyme de la bassesse acharnée contre le talent. Et, comme si ce n’était pas assez de la plume de fer de l’historien, Aristophane, avec ses railleries acérées, est venu donner le coup de grace an malencontreux corroyeur. La Guerre du Peloponnèse et les Chevaliers, n’en est-ce point assez pour enterrer un homme dans la fange ? Aussi tout helléniste tient Cléon pour un tribun factieux et pour un concussionnaire. Suivant M. Grote, Cléon n’est point encore jugé, et cette opinion si nouvelle mérite qu’on l’examine de près. Rappelons-nous que M. Grote n’est point un partisan à outrance de la démocratie, et qu’il fuit le paradoxe. Ce n’est pas parce que Cléon fut un corroyeur, ce n’est pas parce qu’il fut l’idole de la lie du peuple que M. Grote prend sa défense ; le seul sentiment de la justice l’anime, et c’est pour avoir lui avec attention les pièces du procès qu’il en demande la révision.

Oublions d’abord, nous dit-il, les facéties plus ou moins venimeuses d’Aristophane, qui n’est pas plus une autorité en matière d’histoire ancienne que les spirituels auteurs du Punch ou du Charivari n’en sont une pour l’histoire de notre temps. Un rapprochement curieux donne la valeur du témoignage d’Aristophane. La représentation des Nuées