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ce fut seulement après s’y être établi qu’il crut un instant à la possibilité de fermer l’entrée de la Grèce aux barbares. Ce dévouement solennel, ces jeux funèbres, tout cela est homérique, c’est-à-dire sublime. Malheureusement la réflexion vient, et l’on se rappelle que la diète des Amphictyons siégeait aux lieux mêmes où mourut Léonidas, et qu’en sa qualité de roi de Sparte, Léonidas ne pouvait pas ignorer la position des Thermopyles, s’il ne les avait pas visitées lui-même ; que de plus, en sa qualité de petit-fils d’Hercule, il avait nécessairement ouï parler d’un lieu célèbre dans les légendes héroïques de sa divine famille ; enfin on voit, par le témoignage même d’Hérodote, que les Grecs, confédérés appréciaient toute l’importance des Thermopyles, puisqu’ils y avaient dirigé un corps considérable, et que leur flotte, en venant stationner à la pointe nord de l’île d’OEubée, avait en vue d’empêcher les Perses de tourner cette position par un débarquement opéré sur la côte de la Locride, en arrière du défilé.

J’ai eu le bonheur, il y a quelques années, de passer trois jours aux Thermopyles, et j’ai grimpé, non sans émotion, tout prosaïque que je sois, le petit tertre où expirèrent les derniers des trois cents. Là, au lieu du lion de pierre élevé jadis à leur mémoire par les Spartiates, on voit aujourd’hui un corps-de-garde de chorophylaques ou gendarmes portant des casques en cuir bouilli. Bien que le défilé soit devenu une plaine très large par suite des atterrissemens du Sperchius, bien que cette plaine soit plantée de betteraves dont un de nos compatriotes fait du sucre, il ne faut pas un grand effort d’imagination pour se représenter les Thermopyles telles qu’elles étaient cinq siècles avant notre ère. À leur gauche, les Grecs avaient un mur de rochers infranchissables ; à leur droite, une côte vaseuse, inaccessible aux embarcations ; enfin, entre eux et l’ennemi s’élevait un mur pélasgique, c’est-à-dire construit en blocs de pierre longs de deux ou trois mètres et épais à proportion. Ajoutez à cela les meilleures armes alors en usage et la connaissance approfondie de l’école de bataillon. Au contraire, les Perses, avec leurs bonnets de feutre et leurs boucliers d’osier, ne savaient que courir pêle-mêle en avant, comme des moutons qui se pressent à la porte d’un abattoir. On m’a montré à Athènes des pointes de flèches persanes trouvées aux Thermopyles, à Marathon, à Platée ; elles sont en silex. Pauvres sauvages, n’ayez jamais rien à démêler avec les Européens ! S’il y a lieu de s’étonner de quelque chose, c’est que ce passage extraordinaire ait été forcé. Léonidas eut le tort d’occuper de sa personne un poste imprenable et de s’amuser à tuer des Persans, tandis qu’il abandonnait à un lâche la garde d’un autre défilé moins difficile, qui vient déboucher à deux lieues en arrière des Thermopyles. Il mourut en héros ; mais qu’on se représente, si l’on peut, son retour à Sparte, annonçant qu’il laissait aux mains du barbare les clés de la Grèce ?