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Nous voici arrivés à l’époque la plus brillante des annales de la Grèce. Les volumes dont nous avons à rendre compte sont remplis par l’invasion médique, le développement de la puissance maritime d’Athènes, l’administration de Périclès, enfin le commencement de la lutte terrible excitée parmi tous les peuples helléniques par la rivalité d’Athènes et de Lacédémone, guerre impie qui, en épuisant les forces d’une nation généreuse, allait la livrer bientôt sans défense aux rois de Macédoine. Dans les volumes précédens, l’auteur avait à coordonner, souvent à interpréter des documens rares et mutilés, débris informes et toujours suspects : aujourd’hui, des témoignages plus nombreux et assurément beaucoup plus respectables servent de base à son travail ; mais de là aussi une difficulté nouvelle. L’autorité d’Hérodote et de Thucydide est si imposante, qu’en présence de ces grands noms l’historien moderne a peine à conserver la liberté de ses appréciations. Toutefois M. Grote n’est point de ceux qui se laissent éblouir par la renommée même la plus légitime. Plein de respect pour ces maîtres immortels, pénétré de toute la vénération qu’il leur doit en sa qualité d’érudit et d’historien, M. Grote n’oublie pas cependant ses devoirs de juge et sait que tout témoin est sujet à faillir. M. Grote m’a tout l’air de ne croire que ce qu’on lui prouve.

Soumise à cette critique sévère, l’histoire prend une gravité qui ne sera sans doute pas du goût de tout le monde. Aujourd’hui surtout, que la méthode contraire a de brillantes autorités en sa faveur, on reprochera peut-être à M. Grote de rejeter impitoyablement les aimables fictions qu’une école moderne recherche et se complaît à commenter. — Le docte Boettiger, dans une dissertation latine, avait déjà prouvé par vives raisons, comme le docteur Pancrace, que l’histoire d’Hérodote a tous les caractères du poème épique. Le brave homme, c’est du Grec que je parle, n’y entendait point finesse, car il attachait une étiquette sur son sac, en donnant le nom d’une muse à chacun des livres de sa composition. Le ciel nous préserve de faire le procès d’Hérodote à cette occasion ! nous ne le rendons même pas responsable de ses modernes imitateurs. Seulement nous tiendrons, avec M. G rote, que le temps n’est plus où la poésie et l’histoire peuvent s’unir et se confondre. À chacun son métier. Laissons à Hérodote ses neuf muses, et ne nous étonnons pas si M. Grote nous enlève quelques-unes de nos jeunes illusions.

Ces réflexions s’offrent d’elles-mêmes quand on lit dans l’auteur anglais le récit de la mort de Léonidas et de ses compagnons. Hérodote nous montre Léonidas célébrant ses propres funérailles avant de quitter Sparte, et allant de sang-froid se battre contre trois millions d’hommes avec ses trois cents compagnons, uniquement pour apprendre au grand roi à quelles gens il allait avoir affaire. Hérodote dit expressément que Léonidas ne connaissait pas le défilé des Thermopyles, et que