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mouvement commercial du continent et appellera forcément sur la production nationale le bénéfice d’une large réciprocité. L’occasion est unique, le champ plus vaste que jamais. Au moment même où l’alliance française et l’alliance anglaise se dégageaient pour l’Espagne, l’une de ses obstacles, l’autre de ses inconvéniens, l’Europe absolutiste rompait vis-à-vis du gouvernement de Madrid sa réserve hostile de treize années. La Prusse et l’Autriche, qui avaient cru devoir jeter entre elles et le libéralisme espagnol le cordon sanitaire de leur diplomatie, se voyaient atteintes et cernées à leur tour par l’épidémie révolutionnaire. Au bruit menaçant des trônes qui, de toutes parts, s’écroulaient, elles cherchaient avec effroi sur le continent les derniers points d’appui du principe monarchique, et s’étonnaient de ne trouver la vieille société intacte, la royauté forte, qu’en cette Espagne pestiférée dont, jusque-là, elles avaient repoussé la main. Vienne et Berlin s’empressaient de faire de cordiales avances à Madrid. Naples a définitivement pactisé avec l’Espagne constitutionnelle, et, pour la première fois depuis trois quarts de siècle, la bannière des Bourbons groupe à l’heure qu’il est sous son ombre les soldats des deux pays. L’hostilité du saint-siège, qui maintenait en Espagne un germe permanent d’insurrections, s’est également évanouie devant les terribles nécessités du moment. L’Espagne est redevenue, de l’aveu de Rome, la terre des rois catholiques, et, parmi ces pontons vermoulus dont la railleuse énumération fait sourire à Londres les amis du Foreign-Office, elle a pu trouver quelques carènes assez dociles pour porter à Gaëte le témoignage armé de sa réconciliation. Tous ses malheurs s’étaient enchaînés, tous ses succès s’enchaînent. Au sein de ce cataclysme effrayant qui, depuis quinze mois, broie ou démoralise en dedans, isole ou fait s’entre-choquer au dehors les nationalités naguère les plus fortes et les mieux équilibrées, l’Espagne, la malheureuse Espagne, qui jouait devant l’orgueil satisfait des nations le rôle de l’ilote ivre, a conquis tout à la fois sa liberté extérieure, son équilibre constitutionnel, son repos moral.


GUSTAVE D’ALAUX.