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drapeau progressiste dans le drapeau d’une influence qui a osé tendre à la fois la main à l’absolutisme et à la démagogie. Et d’ailleurs, plaçons-nous au point de vue politique des progressistes : que pourraient-ils aujourd’hui redouter d’un rapprochement plus intime entre l’Espagne et la France, seul danger qui leur fît repousser autrefois la réduction générale des tarifs ? L’extension du pacte de famille ? L’envahissement des doctrines de notre juste-milieu ? Grace au ciel, nous avons un peu marché ! C’est à nous maintenant de traiter les progressistes de rétrogrades.

Les modérés eux-mêmes n’ont pas plus de motifs que les progressistes de redouter, à l’heure qu’il est, le contact de la France. Étrange revirement ! la république française était l’épouvantail qui devait refouler l’Espagne dans les bras de l’Angleterre, et cet épouvantail est devenu pour l’Espagne un bouclier. A chaque menace qui arrivait de Londres au cabinet espagnol, la France aura fait écho par un acte rassurant ou amical. Ainsi, au moment même où le cabinet de Madrid expulsait M. Bulwer, jetait le gant à l’orgueil britannique et devait s’attendre, du côté de l’Angleterre, à un redoublement de dangers, le suffrage universel protestait chez nous contre la propagande démagogique de l’intérieur et de l’extérieur, proclamait le respect des nationalités, et sur les Pyrénées comme sur le Quiévrain, comme sur le Rhin, comme sur les Alpes, changeait en neutralité bienveillante l’attitude d’abord hostile de la révolution. J’ai fait la part de la loyauté qui dirigea le parlement britannique au début de l’incident Bulwer ; mais, si notre propagande républicaine avait persisté après l’expulsion de cet agent, le parlement, devant l’humiliation publique que venait de subir la diplomatie anglaise, serait-il resté inoffensif ? Aurait-il résisté à la tentation de se prévaloir des dangers qui assaillaient le gouvernement espagnol sur les Pyrénées pour obtenir une réparation éclatante ? C’est douteux. Je ne voudrais pour preuve de la sourde irritation du parlement que sa complaisance à fermer les yeux sur les actes ultérieurs de lord Palmerston ; car lord Palmerston, tout désavoué qu’il est, n’a pas renoncé à son œuvre. Au vu et au su de Londres, il s’est fait, de concert avec un banquier tristement célèbre, l’entremetteur et le pourvoyeur de cette monstrueuse coalition qui a promené, pendant dix mois, dans la Péninsule, le drapeau carlo-républicain. Nouveau mécompte ! la campagne s’ouvrait à peine, que la neutralité de notre révolution vis-à-vis de l’Espagne se transformait en concours. Le gouvernement de juin avait à faire oublier le gouvernement de février, et il a déployé, disons-le, dans ce rôle le zèle un peu outré qui caractérise toute réaction. Mettant au service du gouvernement espagnol les procédés expéditifs de l’état de siège, la police du général Cavaignac a suffi presque à elle