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sagacité qu’on le manie, on ne peut en tirer aucun développement ultérieur qui profite à la science. Le syllogisme n’est pas non plus inductif ; les propositions générales dont il se sert pour poser sa majeure sont, il est vrai, dues à une induction, mais cette induction s’opère en dehors du syllogisme, et ce n’est que lorsqu’elle s’est formulée par un procédé quelconque, dont il ne se fait pas juge, qu’elle entre dans son domaine. Que reste-t-il donc au syllogisme ? Il lui reste d’être le régulateur de l’emploi de la proposition générale. C’est de cette façon qu’il a contribué au lent perfectionnement de l’intelligence, qui est la condition du changement social, et qui consiste essentiellement en ceci : rendre incroyable ce qui était croyable, et croyable ce qui était incroyable. Qu’on réfléchisse à cette bien brève formule, et l’on sentira que, si quelque mutation de ce genre s’opère dans les esprits, une mutation correspondante dans les choses n’est pas loin.

Pendant que le syllogisme régnait en souverain dans l’école, la logique, qui appartient aux sciences, cheminait à petit bruit et n’avait qu’une part restreinte du domaine philosophique ; mais, quand cette part se fut notablement accrue, le syllogisme, par une réaction dont on voit de continuels exemples, tomba dans la désuétude, et l’on pourrait dire dans le mépris. Cependant cette désuétude n’est pas réelle et ce mépris n’est pas fondé. Le syllogisme reste aussi utile qu’il le fut jamais ; seulement il occupe une place plus humble. Au lieu d’être, comme jadis, le point culminant de la science, il n’en est plus qu’une des assises inférieures. De même que les opérations fondamentales de l’arithmétique conservent toute leur valeur malgré les plus hautes spéculations de l’analyse, de même le syllogisme est toujours le guide de l’emploi des propositions générales et toujours un élément indispensable du raisonnement pour l’homme sorti des langes de la civilisation.


III – RÔLE HISTORIQUE DU SYLLOGISME. – IL RUINE LE RÉALISME DANS LE MOYEN-ÂGE.

À quoi, dans le progrès des idées, a servi ce syllogisme inventé par Aristote et quelle en a été la fonction pour le développement de notre intelligence et, par suite, pour la mutation de nos sociétés ? Dans le cours de l’histoire ou, ce qui est la même chose, de la civilisation, il arriva un temps où, le polythéisme s’étant condensé en monothéisme, le maître ayant fait place au seigneur féodal, et l’esclave au serf, toutes les idées religieuses se trouvèrent soumises au contrôle d’une série de livres, les Écritures, qu’il fallut interpréter et concilier. Pour cette discussion, dont dépendait l’équilibre de l’orthodoxie, équilibre qui, à son tour, maintenait celui de la société, comme on le vit bien quand plus