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je le sais encore, fonctionne régulièrement et dans les limites de la plus stricte légalité ; mais il arrivera indubitablement un moment où l’Espagne, comme l’Angleterre, aura à se défendre de la contagion de février, et où le gouvernement espagnol, aussi bien que le gouvernement britannique, sera forcé d’opposer des mesures exceptionnelles à des dangers exceptionnels. Quand ce moment sera venu, quand la révolte aura éclaté, quand le gouvernement aura plus que jamais besoin de cette force morale sans laquelle la résistance matérielle est moins une sauvegarde qu’un danger de plus, prononcez-vous ouvertement contre lui au nom de l’Angleterre. Cette brusque défection des seuls alliés officiels qui lui restent aujourd’hui en Europe le livrera pieds et poings liés au parti qui représente notre influence, et qui nous paiera ce service par un redoublement de docilité. » Il faut choisir entre cette interprétation ou l’absurde, entre un non-sens ou un guet-apens, et on va voir de quel côté sont les présomptions.

La note du 16 mars arrive vers le 21 à Madrid. M. Bulwer n’en souffle pas mot au gouvernement espagnol ; mais, par un instinct de divination bien singulier, les groupes d’agitateurs qui stationnent, depuis la nouvelle des événemens de février, à la Puerta-del-Sol sont déjà au fait des sentimens du Foreign-Office. La publication des pièces de l’enquête prouvera plus tard que les agitateurs tenaient leurs renseignemens de bonne source : M. Bulwer assistait dès cette époque aux réunions des sociétés secrètes[1]. Des émissaires parcourent les faubourgs. L’argent a raison du flegme proverbial des manolos, que la promesse des sympathies britanniques ne suffit pas à électriser, et, le 26 au soir, Madrid voit pour la première fois des barricades.

Je n’ai pas à raconter les incidens de cette échauffourrée (jarana c’est ainsi que l’a baptisée le dédain du peuple espagnol) ; l’avortement en fut complet. Au premier cri des insurgés, la population, que la beauté du jour avait jetée tout entière sur les promenades, disparut comme par enchantement. Le mouvement se trouva donc, dès le début, complètement isolé. Ce n’est pas faute d’accointances politiques. Les cris les plus disparates sortaient des groupes d’insurgés ; chaque opinion, depuis le montemolinisme le plus foncé jusqu’à la république la plus écarlate, pouvait y reconnaître son mot d’ordre, et, comme si l’émeute avait pris à tâche de symboliser l’incroyable tohu-bohu de l’opposition espagnole, chacune de ces opinions s’y fractionnait à l’infini. Les exaltés proprement dits formaient à eux seuls quatre écoles bien distinctes : celle qui se contentait de l’expulsion de la reine-mère et du général Narvaez, celle qui redemandait la constitution de 1812, celle qui voulait le suffrage universel, celle enfin qui rêvait la fusion

  1. Un rapport du chef politique de Madrid dénonçait, dès le 21 mars, au gouvernement ce fait grave.