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les opinions du pays. Il l’engageait à « prendre conseil de la récente chute du roi des Français et de sa famille, ainsi que de l’expulsion de ses ministres, » et lui prédisait, « pour le cas où il n’adopterait pas une conduite légale et constitutionnelle, » une catastrophe analogue. Il lui conseillait enfin, ou plutôt il le sommait, — car le conseil ne venait qu’après la menace, — « d’élargir les bases de l’administration, en appelant au sein du pouvoir exécutif quelques-uns de ces hommes qui possèdent la confiance du parti libéral ; » lisez : M. Salamanca et les autres notabilités du parti anglo-contrebandier.

Certes, le gouvernement qui offusquait à ce point les scrupules libéraux d’un ministre étranger, et qui lui arrachait une protestation si insolite, devait être coupable du plus scandaleux arbitraire. Quels étaient donc les excès commis par ce gouvernement tyrannique ? Avait-il suspendu l’habeas corpus, ou évoqué contre les étrangers les prescriptions de l’alien-bill ? S’était-il préparé à répondre par la mitraille aux plaintes affamées d’une autre Irlande ? Avait-il condamné les journalistes opposans à montrer à M. Mitchell le chemin de la déportation ? Méconnaissait-il tout au moins les prérogatives parlementaires ? Comme ses deux prédécesseurs, les cabinets Pacheco et Goyena, ouvertement patronés par l’Angleterre, le cabinet Narvaez ne souffrait-il qu’avec une impatience avouée le contrôle des cortès, et les fermait-il, à l’exemple du premier ? Comme M. Salamanca, le fondé de pouvoirs de l’Angleterre dans ces deux cabinets, avait-il profité de l’absence des cortès pour improviser, par voie de décrets, dans la législation, les innovations les plus graves ? Rien de tout cela.

L’avènement du ministère Narvaez était une réaction modérée dans toute la bonne acception du mot. Le nouveau cabinet personnifiait un retour complet et sincère à cette légalité, à ces formes parlementaires que lord Palmerston l’accusait de violer. Son premier soin avait été de rouvrir les chambres et de suspendre jusqu’à l’approbation de celles-ci l’exécution des excentriques mesures arbitrairement décrétées, sous l’influence de M. Bulwer, par l’administration Goyena-Salamanca. Son programme était des plus larges : il promettait la liberté dans les discussions, des réformes dans l’administration, des économies dans le budget ; sa conduite enfin était un modèle de tolérance. Il avait, sinon provoqué, du moins accepté et exécuté l’amnistie la plus large ; il avait fait de nobles avances à Espartero, confié des postes importans à plusieurs notabilités progressistes. La majorité la plus forte et la plus homogène qui eût jamais surgi des cortès appuyait la nouvelle combinaison. L’opposition elle-même disparaissait ou tout au moins se taisait devant une politique qui ne lui laissait aucune prise, et ce calme, dont l’Espagne avait perdu depuis quinze ans l’habitude, se traduisait déjà par une intelligente sollicitude pour des intérêts jusque-là négligés,