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toute sa valeur et qu’il convient d’étudier en détail cette personnalité puissante. Un mot seulement pour introduire M. de Gagern au milieu de la lutte qui s’agite. Fils d’un homme qui a joué un certain rôle dans la diplomatie allemande, M. Henri de Gagern fut de bonne heure entouré d’exemples et de conseils qui décidèrent de sa vocation politique. Cette pratique des affaires qui fait si cruellement défaut, dans les temps de révolutions, aux hommes d’état improvisés, ne manquait pas à M. de Gagern quand les événemens de 1848 le portèrent tout à coup au pouvoir. Sans être complète, on le verra bien, son éducation avait été sérieuse et forte. Chargé, bien jeune encore, de fonctions importantes dans l’administration du grand-duché de Hesse-Darmstadt, il avait trente-trois ans quand les électeurs l’envoyèrent à la chambre des députés. Il est entré dans cette chambre au mois de décembre 1832, et il n’en est plus sorti que pour siéger aux assemblées de Francfort. On a trop peu suivi, en France, le travail de l’Allemagne méridionale depuis 1830. Dans ces assemblées du duché de Bade, de la Hesse-Darmstadt, du Wurtemberg, de la Bavière, si restreintes que fussent les garanties constitutionnelles et les libertés de la tribune, des esprits éminens maintenaient avec habileté les droits conquis et luttaient contre les envahissemens de la diète. Soutenues sans espérance de gloire sur un théâtre obscur, ces nobles luttes n’étaient pas sans profit pour l’opposition libérale. Des hommes d’état y grandissaient, et, tandis que l’Allemagne du nord, avant la belle session parlementaire de Berlin en 1847, dépensait toute sa force dans les systèmes et les utopies, les chambres de Carlsruhe, de Stuttgart, de Darmstadt, préparaient des intelligences claires et des volontés droites pour les discussions de l’avenir. C’est là que s’est formé M. Henri de Gagern. M. de Gagern n’est ni un penseur, ni un écrivain, comme le sont presque tous les hommes considérables de son pays ; c’est avant tout un esprit politique. Doué d’un sens vif et net, dressé au maniement des affaires, habile à découvrir le meilleur parti en toutes choses, il semble destiné au pouvoir. Pour user sagement de ce pouvoir, il lui reste encore sans doute bien des qualités à acquérir ; nous le verrons commettre bien des imprudences au parlement de Francfort. Tel qu’il est toutefois, et en attendant les leçons de l’expérience, c’est bien un homme politique, c’est bien un chef de parti qui va monter à la tribune dans cette première séance du 31 mars 1848. Cette réputation d’ailleurs l’y accompagnait déjà et augmentait sa force. Nommé ministre dans le duché de Hesse-Darmstadt, M. Henri de Gagern ajoutait à l’éclat de son talent l’autorité d’une position éminente ; un silence profond s’établit quand il se dirigea vers la tribune.

L’assemblée hésitait entre la proposition de M. Schaffrath et celle de M. Eisenmann, l’une qui créait une commission pour l’examen des divers programmes, l’autre qui ne voulait qu’une seule chose, la convocation