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assemblée des notables. Au moment où M. Mittermaier ouvrait la discussion sur le programme légué à l’assemblée par le comité d’Heidelberg, un député du duché de Bade, M. Mez, monta à la tribune et s’exprima ainsi : « Mes frères d’Allemagne, Franklin, le grand Franklin, l’homme de la raison, de la liberté et de la vertu, avait coutume de dire qu’il était profondément convaincu de la vérité de ce verset de la Bible : Si le Seigneur ne bâtit pas avec vous, vous bâtirez en vain. Mes frères, je déclare du haut de cette tribune que, comme Franklin, je crois fermement à ces paroles ; je déclare que, comme Frank lin l’a fait maintes fois, je prie le Seigneur de nous aider dans notre construction, pour qu’elle s’élève avec succès. C’est un grand édifice que nous voulons construire ; c’est d’un bon et puissant secours que nous avons besoin. Je prie donc M. le président d’engager tous les citoyens qui adoptent comme moi cette vérité suprême à exprimer leur adhésion en se levant. » À cette proposition, tout empreinte qu’elle fût d’une fausse bonhomie déclamatoire, l’assemblée entière se leva. L’esprit de l’Allemagne du sud, on le voit aisément, dominait dans le parlement des notables. Les révolutionnaires de Bade, de Francfort, du Wurtemberg, à ce moment-là surtout, étaient médiocrement initiés à l’athéisme des radicaux de Berlin ; ni M. Arnold Ruge, ni M. Charles Grün, ni M. Rauwerck, les dignes maîtres de M. Proudhon, ne siégeaient à cette première assemblée de Francfort. Les radicaux que Berlin y avait envoyés étaient tous, en attendant mieux, des agitateurs modérés ; ils n’avaient pas porté la révolution dans le ciel et détrôné le Créateur. Les humanistes de la jeune école hégélienne voient dans la divinité un simple reflet de nous-mêmes, et veulent bien avertir le genre humain qu’il est depuis six mille ans prosterné devant son ombre : l’assemblée des notables ne contenait aucun des fidèles de cette nouvelle église. Les plus hardis en fait de révolutions religieuses, ce n’étaient ni M. Bruno Bauer ni M. Feuerbach ; c’étaient un pasteur rationaliste, M. Wislicenus, et l’ancien chapelain de Laurahutte, le fondateur infortuné du catholicisme allemand, le médiocre et emphatique Jean Ronge. Voilà comment la solennelle proposition de M. Mez fut accueillie avec un empressement unanime. M. Vogt lui-même, le seul athée qui pût représenter l’école hégélienne parmi les notables, tout surpris sans doute de cette adhésion spontanée et vraiment dépaysé au milieu de tant de croyans, M. Vogt ne protesta pas.

Aussitôt la discussion fut ouverte. Le comité d’Heidelberg avait transmis aux notables un programme complet pour guider leurs délibérations. C’était une manière de gagner du temps. L’assemblée des notables aurait été obligée de nommer une commission pour préparer ce travail ; le comité des sept, siégeant à Heidelberg pendant tout le mois de mars, avait épargné cette peine à l’assemblée, et lui fournissait le