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ceux qui sont sincèrement épouvantés de la chute des vieilles institutions, que la ruine du passé ne coupe pas le chemin vers l’avenir et ne met point un abîme devant nos pieds, d’un autre côté, pour ceux qui cherchent a priori cet avenir, qu’il a des conditions essentielles, indépendantes de tout arbitraire, soustraites à toute volonté, quelque puissante qu’on la suppose, conditions qui sont pour le développement des sociétés ce que sont les conditions correspondantes pour tout autre phénomène naturel. Ici, dans la logique, dont il est seulement question, mais qui tient au reste (car, à vrai dire, il n’y a qu’une seule science dont les autres ne sont que des chaînons, et dont l’enseignement systématique, parfaitement possible, transformera la philosophie et fera faire un pas considérable à la raison contemporaine), dans la logique, dis-je, nous tenons sinon la première élaboration, du moins le premier texte officiel, celui d’Aristote ; et, pour une élaboration scientifique aussi circonscrite, il sera facile de signaler au lecteur, en lui montrant le point de départ et le terme actuel, la direction véritable de l’intelligence, excluant toutes les idées de cercle et d’orbite imaginées au sujet de la civilisation.

En contradiction à ce qui vient d’être dit s’élève tout d’abord une assertion singulière des métaphysiciens : ils déclarent d’une manière assez concordante que, depuis Aristote, la logique n’a pas fait un seul progrès. Kanta dit : « On voit que la logique possède le caractère d’une science exacte depuis fort long-temps, puisqu’elle ne s’est pas trouvée dans la nécessité de reculer d’un pas depuis Aristote. Ce qu’il y a encore de remarquable, c’est qu’elle n’a pu faire jusqu’ici un seul pas de plus, et qu’elle semble, suivant toute apparence, avoir été complètement achevée et perfectionnée dès sa naissance. » M. Barthélemy Saint-Hilaire, qui est métaphysicien, n’a pas un autre avis. La longue et érudite Introduction qu’il a mise devant l’Organon d’Aristote a pour but d’enseigner que les efforts tentés à l’effet de développer la logique aristotélicienne ont avorté, et elle se termine en souhaitant que la nouvelle école, c’est-à-dire l’école éclectique, ait l’honneur de perfectionner l’œuvre antique. Cette espérance est vaine ; ce souhait est de ceux qui, suivant l’image du poète latin, se perdent dans les airs et servent de jouet aux vents (ludibria ventis). Il y a vingt-deux siècles que l’on travaille en vain à faire un pas dans cette impasse ; vingt-deux siècles pourraient encore s’écouler sans que les futurs commentateurs d’Aristote eussent à signaler rien qui dût être compté comme une acquisition nouvelle, comme un prolongement scientifique de vérité en vérité.

Cependant il est vrai que la logique s’est perfectionnée, et cela s’est fait non-seulement en dehors des métaphysiciens, mais, ce qui est plus curieux, à leur insu. Ils ne se doutent pas de la voie qui a été tracée