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sourire triste et doux. Craignant pour sa vie, ils la suppliaient en vain de sortir : — « Si je sors d’ici, dit-elle, mon fils n’y rentrera plus. » La chaleur, la presse, la course précipitée de gens qui montaient, descendaient sans relâche, finirent par ne plus lui permettre de demeurer au pied de la tribune. Elle passa sur les gradins supérieurs de la salle, s’y assit avec ses fils et M. le duc de Nemours, suivis par les officiers de la maison de M. le comte de Paris, par quelques députés et par des gardes nationaux.

Rien n’était encore perdu, lorsque de froides et cruelles paroles, tombées goutte à goutte de la tribune, gagnèrent le centre de l’assemblée et glacèrent les cœurs étonnés et indécis. En face de M. le duc de Nemours, dont la présence attestait un acquiescement formel et une abdication bien noblement volontaire, M. Marie se fit le champion bénévole de sa régence. Il rappela la loi qui lavait décernée à ce prince « Il faut, dit-il, obéir à la loi… » À la loi portée par ces mêmes pouvoirs dont la destruction était décidée, accomplie !… L’orateur mit le comble à sa gloire en prononçant le premier ces mots : Gouvernement provisoire ; mots de funeste augure, destinés à servir d’enseigne à une anarchie que la France aurait dû dès-lors étouffer dans son germe, mais qu’à défaut de prévoyance, elle a du moins arrêtée avec courage dans sa marche audacieuse et désordonnée. Puisse-t-elle persévérer ! M. Crémieux prêta à son honorable collègue l’appui de son talent ; mais il crut devoir joindre la pantomime à l’éloquence. Après avoir parlé, il se glissa auprès de Mme la duchesse d’Orléans, et lui montra un petit papier sur lequel il lui avait fait sa leçon en termes ambigus qui pouvaient servir à deux fins. Il ajouta à ce don inestimable beaucoup de conseils, excelleras sans doute. M. Crémieux fut écouté en silence, car il assure qu’il fut écouté[1] : En tout cas, le temps était trop précieux pour l’employer à proposer des énigmes et à deviner des logogriphes. La princesse prit le chiffon que lui tendit son conseiller improvisé, le froissa dans ses doigts, le laissa tomber… On le ramassa, dit-on. Ensuite, Mme la duchesse d’Orléans se leva une seconde fois et essaya de se faire entendre. Elle crut même un instant y avoir réussi ; mais à peine eut-elle prononcé avec beaucoup de calme et de sang-froid ces simples mots : « Mon fils et moi, nous sommes venus ici… » que les hurlemens de la foule d’en bas et des tribunes étouffèrent sa voix. Les uns lui criaient : « Parlez ! parlez ! » d’autres lui disaient : « Laissez parler Odilon Barrot ! » M. Barrot, retenu par des obstacles aussi fâcheux qu’inattendus, était arrivé sur ces entrefaites ; le tumulte l’ayant empêché d’entendre la princesse et la faiblesse extrême de sa vue ne lui ayant probablement pas permis d’apercevoir

  1. Voir le Moniteur du mercredi 11 avril 1849.