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amère, un reproche même irréfléchi ? Quel ressentiment injuste pouvait se faire jour dans un tel moment ? Quoi qu’on en dise, il n’y eut de paroles que pour la tendresse et pour la douleur. Le roi et la reine embrassèrent leur belle-fille. Quelques hommes politiques lui parlèrent alors de la nécessité absolue où elle se trouvait de prendre la régence. Elle s’écria : « C’est impossible ! Je ne puis porter un tel fardeau ; il est au-dessus de mes forces. » Elle insista encore auprès du roi pour le conjurer de revenir sur son abdication ; mais le bruit en était déjà répandu dans la garde nationale et dans l’armée. On répéta à Mme la duchesse d’Orléans que la régence était le moyen unique de salut pour la dynastie. Elle combattit cette opinion en peu de paroles, très rapidement, comme tout ce qui se dit et se fit alors. Les gens considérables dont elle était entourée la pressaient d’accepter. Elle leur répliqua par ces mots déjà cités ailleurs : « Ôter la couronne au roi, ce n’est point la donner à mon fils. » Mais enfin il fallut se résoudre et céder. Le roi, la reine, étaient partis. Rentrée au pavillon Marsan, dans son appartement, la princesse en fit ouvrir toutes les portes. Quelques relations, très bienveillantes d’ailleurs, ont prêté à cette scène une pompe déclamatoire, une sorte d’apprêt théâtral qui n’est point dans le caractère de Mme la duchesse d’Orléans, et qui surtout n’était pas dans sa pensée en ce moment. Ce qu’elle fit alors, elle le fit noblement, dignement, simplement surtout. L’enthousiasme n’était pas le mobile unique qui la dirigeait ; ce n’était pas même le motif principal de sa résolution. Sans doute elle admettait la chance d’un grand sacrifice, elle se sentait résolue à périr, s’il le fallait ; mais elle ne rejetait pas la possibilité de se faire entendre à une population désabusée et calmée : elle croyait encore pouvoir être utile à la France, à sa famille, à son fils, en traitant à des conditions honorables. Debout avec ses enfans au pied du portrait de leur père, entourée des personnes de sa maison, de quelques officiers de marine, de quelques membres de la chambre des députés, accompagnée d’une de ses dames restée inséparable de sa destinée, elle était prête à tout, lorsqu’une personne envoyée par M. le duc de Nemours vint l’avertir, de la part du prince, de se rendre en toute hâte, par le pavillon de l’Horloge et par le jardin, au Pont-Tournant, surtout de ne pas perdre un instant pour quitter les Tuileries. La princesse se mit aussitôt en marche. À l’entrée du pavillon Marsan, elle trouva M. le duc de Nemours à cheval. Le prince se plaça auprès de sa belle-sœur pour la couvrir de son corps et la garantir des coups de fusil qu’on tirait de la place du Carrousel dans la cour des Tuileries, qui n’était pas encore envahie, mais au moment de l’être. Sous les yeux mêmes de Mme la duchesse d’Orléans, les insurgés avaient renversé et massacré un piqueur sortant à cheval des écuries du roi. Cet homme était tombé contre la grille, déjà violemment