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et à l’appréciation des événemens, devenus depuis quelque temps si redoutables et toujours si graves ; mais aucun jugement, surtout aucun blâme ne se plaçait sur ses lèvres. Elle se bornait uniquement à ses devoirs de mère. Si on a osé l’accuser de menées et d’intrigues, c’est faute d’avoir su concilier une réserve si modeste avec un mérite si rare. De nos jours, on ne sait plus comprendre une vie à la fois grande et simple ; l’idée de la véritable grandeur est si généralement obscurcie, qu’on ne peut plus croire à une abnégation volontaire. Dès qu’on reconnaît l’intelligence, on suppose l’agitation. Mme la duchesse d’Orléans resta silencieuse et immobile jusqu’aux jours néfastes où elle devint, non par sa volonté, mais par la force inexorable des événemens, le dernier espoir, le dernier enjeu de la monarchie. Elle n’avait jamais songé à briguer un rôle, et ce fut avec regret, mais avec résolution, qu’elle prit le sien des mains de la nécessité. Jusqu’à l’abdication du roi, elle demeura constamment auprès de la reine. Une commune pensée animait ces deux princesses. Obtenir du roi de ne point renoncer à sa couronne était leur vœu et leur espérance. Prêter à Mme la duchesse d’Orléans, dans ces heures de trouble et d’angoisse, les calculs et le sang-froid de l’ambition, c’est faire plus que de méconnaître son cœur : c’est méconnaître le cœur humain.

Le roi Louis-Philippe avait passé sa dernière revue ; il était rentré aux Tuileries. Pendant qu’il conférait dans son cabinet avec quelques hommes politiques, la reine et les princesses, renfermées dans une pièce voisine, attendaient… avec quelle anxiété ! on peut le deviner aisément. Une des personnes de la maison de Mme la duchesse d’Orléans, s’étant approchée d’elle, lui demanda avec inquiétude : « Que fait-on ? Que fait madame ? » Elle répondit : « Je ne sais pas ce qu’on fait, je sais seulement que ma place est auprès du roi. Je ne dois pas le quitter, je ne le quitterai pas. » Tout à coup la porte s’ouvrit, le roi parut et s’écria d’une voix forte : « J’abdique !… » À ces mots, la reine, Mme la duchesse d’Orléans, toutes les princesses, s’élancèrent au-devant de lui et le conjurèrent, en versant des larmes, de ne pas abdiquer ; sa belle-fille se jeta presque à ses pieds, pressant sa main avec un tendre et douloureux respect. Le roi ne répondit rien et rentra dans son cabinet. Les princesses l’y suivirent. Tandis que Louis-Philippe, pressé de toutes parts, signait son abdication, non pas avec les hésitations misérables, les tergiversations pusillanimes que lui prête un récit sans autorité et sans vraisemblance, mais avec une ferme et imperturbable lenteur, la reine et la princesse royale se tenaient par la main, en silence, à l’autre extrémité de la table. À la vue de fa signature fatale, lorsque tout fut irrévocablement accompli, elles se jetèrent en pleurant, par un mouvement, spontané, dans les bras l’une de l’autre. Où placer, dans une pareille scène, un mot malveillant et dur, une expression