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J’espère qu’une cause toute simple est la seule raison qui vous a empêché d’accomplir votre projet ; je vous prie de m’écrire pour lever tous mes doutes à cet égard. Je vous préviens que je suis dans un pays si perdu, que vos lettres mettront un temps infini à me parvenir ; qu’elles pourront même se perdre en route, ainsi que les miennes. Ainsi, ne soyez pas surpris du silence que je pourrai paroître garder avec vous. Tenez-vous convaincu pour jamais que mes sentimens pour vous sont inaltérables, et que vous êtes et serez sans cesse présent à ma pensée.

« Je vous remercie de la manière dont vous m’avez écrit votre dernière lettre ; croiriez-vous pourtant qu’on a deviné de quel projet vous vouliez me parler ? Je crois qu’on seroit charmé de le détourner ; mais je ne vois pas comment, si vous y êtes bien résolu. Adieu ; je n’ajoute rien de plus à cette lettre, pensant que vous êtes à peu près aussi habile que moi sur tout ce que mon amitié pourroit me dicter de plus. Je vais écrire à mon frère et lui faire les reproches qu’il mérite à votre égard ; soyez certain qu’il n’est coupable envers vous que de négligence. Persistez donc dans la bonne résolution de lui conserver tout votre attachement. Adieu encore une fois. »

Chênedollé avait réparé le contre-temps dont il vient d’être question, et il avait pu revoir son aimable amie. Il lui écrivait, quelques jours après l’avoir quittée, une lettre qui prouve du moins que les craintes de la mélancolique Lucile n’étaient pas toutes imaginaires, et qu’il y avait, de la part de certaines personnes, médiocrement indulgentes, quelque peu de tracasserie autour d’elle :


À Mme de Caud, à Lascardais, près Saint-Aubin-du-Cormier.

« Vire, 3 fructidor 1803.

« Je n’ai point pu partir pour Paris, chère Lucile, comme je vous le disais dans ma lettre. Ma sœur aînée vient de tomber malade de la petite vérole, et vous concevez qu’il m’a été impossible de la quitter. L’incertitude du moment où je puis recevoir de vos lettres me détermine à vous envoyer un exprès. D’ailleurs, je dois éclaircir plusieurs points avec vous, ce que je ne pourrais faire en me servant de la voie ordinaire de la poste.

« Depuis que j’ai quitté Fougères, je n’ai point été un moment tranquille. Vous aurez su que j’ai mangé et logé chez Mme de Chateaubriand. Voici comment cela s’est fait. En arrivant à Fougères, je descendis chez M. de Guébriac[1] avec l’intention d’y coucher, si je ne pouvais pas trouver de voiture dans la soirée. À six heures, je sortis pour aller faire une visite à Mme de Chateaubriand, politesse dont je ne crus pas possible de me dispenser. Mme de Chat… profita de ce moment pour envoyer vite chercher mon sac de nuit, resté chez M. de Guébriac. Nous sortîmes avec une amie de Mme de Chat… pour aller nous promener dans la forêt, et, à mon retour, on me dit qu’on avait envoyé chercher mon sac de nuit et que ma chambre était préparée. Je fus donc forcé de rester. Le lendemain, je voulus partir de grand matin. Point de chevaux. On me promet

  1. Ou plutôt Québriac.