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Au même.

« Mercredi, 23 ventôse (1804).

« Migneret[1], mon très cher ami, vient de m’envoyer votre billet. Vous devez avoir à présent entre les mains une lettre de moi. Je vous disois que je partois pour le Valais, que j’espérois n’y faire qu’une courte résidence, et que j’attendois de la bonté du Consul la permission de revenir cet automne à Paris ; que, si pourtant le voyage vous tentoit, quoique vous connoissiez déjà les montagnes ; vous pouviez venir sur-le-champ me rejoindre à Paris ou à Villeneuve-sur-Yonne, d’où je me chargeois ensuite de tous les frais de votre voyage. La chose n’est pas brillante ; mais le diable ne peut offrir que son enfer.

« Être avec vous seroit un grand bonheur pour moi ; mon amitié pour vous est inaltérable ; malheureusement on ne me met guère à lieu de vous le prouver ; vous ne pouvez vous faire une idée de mes chagrins.

« Je crois connoitre tous les vôtres. Notre chère Lucile[2] est très malade !… Mon ami, si nous ne nous voyons pas encore cet été sous les montagnes de Sion, les landes de la Bretagne et de la Basse-Normandie nous réuniront cet hiver. Quelle triste chose que cette vie ! Je vous embrasse en pleurant : c’est maintenant mon habitude[3].

« P. S. — Adressez votre réponse chez Joubert, au Singe violet, rue Saint-Honoré, près la rue de l’Échelle. »


Au même.

(1804)

« Vous aurez reçu, mon très cher ami, ma seconde lettre où je vous parlois du peu d’agrément de la chose que je vous proposois, et surtout de sa courte durée. Dupuy, que j’avois appelé comme secrétaire, a été épouvanté, et il refuse de venir. Je tâcherai de prendre quelque enfant de seize ans qui me coûte peu et qui sache remplir les blancs d’un passeport.

« Votre lettre a croisé la mienne ; je ne m’étonne pas des difficultés que fait votre père. Non-seulement la place de secrétaire de légation ne dépend pas de moi, comme vous le dites, mais je n’ai point de secrétaire de légation ; je suis tout seul, et on ne me passe pas même un secrétaire particulier. Il est vrai que je vais dans un trou horrible, et que je n’y vais que pour quelques mois, du moins je l’espère.

« Si tout cela ne vous décourage pas, voilà la lettre pour M. votre père ; remettez-la-lui et venez. J’aurai un extrême bonheur à vous embrasser. Ma femme est ici. Elle va me chercher un logement pour moi et pour elle. Je cherche une cabane à acheter aux environs de Paris ; j’espère l’avoir pour cet automne ; alors, si vous ne venez pas à Sion, du moins promettez-moi de venir vivre dans ma chaumière. Lucile va venir dans une pension excellente que je lui ai arrêtée ici.

  1. Le libraire.
  2. Ceci se rapporte à ces nouveaux chagrins dont il est question dans la lettre précédente.
  3. C’est pourtant le même homme qui disait de lui avec vérité : « Je n’ai jamais pleuré que d’admiration. » En effet, s’il pleurait pour d’autres choses, c’étaient des larmes légères et qui ne comptaient pas.