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« M. de Lauraguais vient, du fond du plus horrible galimatias[1], d’essayer de mordre notre ami ; mais ses dents sont tout usées, il aurait bien mieux fait de s’en tenir à la Constitution, la Constitution ! Cette fois, le trop d’idées ne l’a pas empêché d’achever.

« On a fait une Résurrection d’Atala en deux volumes. Atala, Chactas et le père Aubry ressuscitent aux ardentes prières des missionnaires. Ils partent pour la France, un naufrage les sépare : Atala arrive à Paris. On la mène chez Feydel[2], qui parie 200 louis qu’elle n’est pas une vraie sauvage ; chez l’abbé Morellet, qui trouve la plaisanterie mauvaise ; chez M. de Chateaubriand, qui lui fait vite bâtir une hutte dans son jardin, qui lui donne un dîner où se trouvent les élégantes de Paris ; on discute avec lui très poliment les prétendus défauts d’Atala. On va ensuite au bal des Étrangers où plusieurs femmes du moment passent en revue, enfin à l’église où l’on trouve le père Aubry disant la messe et Chactas la servant. La reconnaissance se fait, et l’ouvrage finit par une mauvaise critique du Génie du Christianisme. Vous croiriez, d’après cet exposé, que l’auteur est païen. Point du tout. Il tombe sur les philosophes, il assomme l’abbé Morellet, et il veut être plus chrétien que M. de Chateaubriand. La plaisanterie est plus étrange qu’offensante ; mais on cherche à imiter le style de notre ami, et cela me blesse. Le bon esprit de M. Joubert s’accommode mieux de toutes ces petites attaques que moi qui justifie si bien la première partie de ma devise : Un souffle m’agite[3].

Le dernier Mercure[4] est détestable M. Delalot y règne comme le roi de Cocagne, et s’il ne baille pas, du moins nous fait-il bâiller… Ah ! qu’allait-il[5] faire dans cette galère ! Il vous écrira incessamment, Gueneau aussi. Les deux corbeaux soupirent après le troisième. Lucite s’est écriée lorsque son frère nous a lu votre lettre : Qui ne sait compâtir aux maux qu’il a soufferts ! Fougères lui a trop appris à apprécier Vire ; elle vous plaint de toute son ame et me charge de vous dire mille choses. La lettre de notre ami sera telle que vous la pouvez désirer et très déterminante. Puisse-t-elle pour vous deux n’être pas une fiction ! Il est dans son nouveau logement, Hôtel d’Étampes, n° 84. Ce logement est charmant, mais il est bien haut. Toute la société vous regrette et vous désire ; mais M. Joubert est dans les grands abattemens, M. de Chateaubriand est enrhumé, Fontanes tout honteux, et la plus aimable des sociétés ne bat que d’une aile.

« M. B. (Montmorin-Beaumont.) »

  1. M. de Lauraguais fit paraître plus d’un écrit à cette date de 1802 ; on ne saurait dire duquel il s’agit ici.
  2. L’un des rédacteurs du Journal de Paris à cette époque, un personnage assez excentrique, et qui a fini deux ans après par Charenton.
  3. C’est Rulhière qui lui avait envoyé autrefois un cachet où se voyait un chêne gravé, avec cette devise : Un souffle m’agite, et rien ne m’abat.
  4. Le numéro du 3 fructidor an X.
  5. Chateaubriand. Voilà la vérité vue de près. De loin Chateaubriand et le Mercure ; à cette époque, paraissent ne faire qu’un. M. Delalot était tout à M. de Bonald : « Delalot s’est logé dans l’étui de M. de Bonald, comme les insectes : qui se logent dans les trous des autres. » (Chênedollé). — Delalot, le plus haïssable des écrivains, disait M. Joubert ; cela voulait dire le plus éloigné de toute grace. — Dans le peu de goût que témoigne Mme de Beaumont pour Delalot, expression du genre-Bonald, on aperçoit d’avance et sous forme littéraire l’indice de cette division qui éclatera bien plus tard, dans la politique entre la fraction aimable et brillante du parti et le côté raide et dur.