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est du 27 mars 1808. M. Thiers cite en entier cette lettre, où se trouvent ces mots : « J’ai résolu de placer un prince français sur le trône d’Espagne, et j’ai jeté les yeux sur vous. » Voilà une date précise pour fixer le terme des résolutions diverses entre lesquelles avait flotté Napoléon ; il n’était plus indécis que sur le choix du souverain qu’il destinait à l’Espagne, et, comme il avait décidé que le trône serait occupé par un prince de sa famille, Lucien se renfermant dans ses opinions, qui ressemblaient à des rancunes, et Louis, déjà fatigué de sa royauté en Hollande, détournant sa tête du poids d’une plus lourde couronne, c’était sur Joseph que le choix impérial devait se porter.

Sur ce terrain solide, débarrassé du travail ingénieux des conjectures, M. Thiers trace à grands traits les événemens ; son dernier livre, intitulé Bayonne, a tout l’intérêt du drame, sans rien perdre de la majesté et du calme de l’histoire. Il est inutile de parler des événemens de Madrid. Ces événemens ont pris, sous la plume de M. Thiers, de nouvelles proportions, un plus haut intérêt, une vivacité charmante, s’il est permis d’appliquer un tel mot au hideux amas de frayeurs, de fanfaronnades, de haines de famille, de turpitudes et de bassesses qui déshonorèrent la royauté espagnole à cette époque, flot impur qui submergea Napoléon.

Napoléon avait sans doute un autre rôle à jouer que celui-là. Les trahisons espagnoles, les intrigues de l’Angleterre, la honte de l’expédition de Copenhague, dont une main habile et hardie a tracé dans ce recueil même l’émouvant tableau, ne sauraient motiver sa conduite. On pourra dire que tant d’actes d’immoralité publique, qui excitèrent l’indignation de l’Europe, ont, par la funeste autorité de l’exemple, contribué à relâcher la morale politique de l’empereur, et l’ont amené à s’écarter, à son tour, de la ligne du devoir qui devait être plus étroite pour un grand homme couronné que pour tout autre souverain. N’était-il pas plus sage, plus expédient même de combattre l’Angleterre avec d’autres armes que celles qu’elle employait ? N’était-ce pas peut-être un moyen de s’assurer le concours fidèle du continent ému, troublé par cette politique perverse ? Je dis peut-être, car il est téméraire de juger de questions si hautes et si ardentes du modeste point de vue où nous sommes, et de tracer rétrospectivement à l’homme de génie engagé dans de telles luttes en face d’une coalition secrète et d’ennemis abattus, mais non réconciliés, sa ligne de conduite, sans tenir compte de ce qu’il pouvait avoir dans ses mains. La Russie, par exemple, ne tenait à Napoléon que par l’espoir de posséder les provinces danubiennes, et Napoléon, qui reculait à la seule pensée de les promettre, pouvait-il les accorder ? Les rigueurs de Napoléon à l’égard de la Prusse n’irritaient-elles pas la Russie, déjà mécontente de n’avoir obtenu