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III. — RELATIONS AVEC KLOPSTOCK.

Un homme bien différent de Rivarol, et que Chênedollé connut d’abord à Hambourg, était Klopstock, qui, « dans sa Messiade, avait ouvert à l’imagination des horizons nouveaux. » La relation qu’il nous a laissée de sa première visite au vieux maître, et de l’impression qu’il en reçut, vient bien à côté de ce qui précède et fait contraste par la simplicité.

« Caractère de Klopstock. — Lorsque je fus admis pour la première fois en sa présence, par La Tresne, je crus être admis en présence du Génie. Je vis un petit homme, d’une figure douce et riante. Je ne lui trouvai point du tout cet air de réserve, cet air diplomatique dont parle Goethe. Je lui trouvai, au contraire, un air ouvert et plein de franchise. Je n’ai jamais vu de figure de vieillard plus aimable et plus prévenante. Il avait surtout un sourire de bonté si parfait, qu’il vous mettait tout de suite à votre aise. Je lui lus une ode que je venais d’esquisser à sa louange. Cette ode le flatta beaucoup et parut lui faire le plus grand plaisir. Il dit qu’il attachait un grand prix à être loué par un Français, et surtout à être loué en vers. En un mot, il fut ravi. Dès ce moment, il me prit dans la plus grande affection ; il m’invita à aller dîner le lendemain ou le surlendemain à une maison de campagne qu’il avait aux portes de Hambourg. Je le trouvai se promenant dans son jardin avec sa femme et quelques dames qu’il avait invitées. C’était dans les premiers jours de mai (1795). Je me rappelle qu’il faisait un soleil superbe et que nous nous promenions sous des pruniers en fleurs, ce qui mit tout de suite la conversation sur le charme de la campagne et de la nature. Il en parlait avec ravissement. Dès cette seconde entrevue, il me parla de son goût, de son amour pour l’exercice du patin. Il paraît que chez lui c’était une espèce de manie, car ce fut aussi une des premières choses dont il s’entretint avec Goethe. Je lui trouvai la candeur d’un enfant et le génie d’Homère. »

L’ode intitulée l’Invention, dédiée à Klopstock, et une autre ode, le Génie de Buffon, furent imprimées à Hambourg dans le courant de 1795. Le Spectateur du Nord, publiant en février 1797 une troisième ode de Chênedollé, intitulée Michel-Ange ou la Renaissance des Arts, appréciait en quelques lignes la tentative du jeune poète : Chênedollé aspirait à célébrer tour à tour les rois du pinceau, de la lyre et de la pensée, et à caractériser leur génie par le ton même des chants qu’il leur consacrait. Il fallait dans cette œuvre, pour y réussir, élévation, variété et souplesse. Chênedollé a surtout l’élévation et le souffle. Ces odes et celles du même genre qu’il composa ne parurent en France que tardivement recueillies vers 1820, c’est-à-dire vingt-cinq ans après leur naissance. Si elles avaient paru à son retour de l’émigration en 1802, elles auraient classé leur auteur au premier rang des héritiers et des émules de Le Brun.