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de la muse moderne, n’ont plus été remarquées que du petit nombre de ceux qui vont rechercher et respirer la poésie en elle-même. Chênedollé n’a pas fait comme son illustre ami Chateaubriand, qui, entre tous ses génies familiers, eut toujours celui de l’à-propos. Tant de contre-temps aujourd’hui peuvent-ils se réparer ? Au moins nous devons un souvenir, un hommage et une attention tardive à un homme distingué par le talent et par le cœur, qui eut en lui l’enthousiasme, le culte du beau, la verve sincère, les qualités généreuses, et jusqu’à la fin cette candeur des nobles ames qui devrait être le signe inaltérable du poète.


I. — ENFANCE. — ÉTUDES. — PREMIÈRES LECTURES.

Charles-Julien Pioult de Chênedollé naquit à Vire le 4 novembre 1769. Son père, membre de la cour des comptes de Normandie, portait, selon l’usage de cette époque, le nom de la terre seigneuriale de Saint-Martindon. Sa mère, Suzanne-Julienne Des Landes, appartenait à une ancienne famille du Bocage. « C’était, nous dit son fils, une personne d’imagination, ingénieuse à se troubler elle-même, une de ces ames qui ne vivent que d’angoisses et d’alarmes ; j’ai beaucoup hérité d’elle. » Chênedollé est le nom d’un étang auprès duquel l’enfant allait souvent promener ses rêves. On se souvient dans la famille du poète qu’un aïeul paternel de Chênedollé, amateur de littérature et qui s’essayait en son temps à la poésie, avait été en correspondance avec Boileau, et avait reçu de lui des observations sur ses vers. Les lettres de Boileau s’étaient conservées avec soin dans les papiers de famille ; elles furent brûlées avec ces papiers en 93. L’enfant tenait de cet aïeul la veine secrète. Né près du berceau d’Olivier Basselin, nourri dans cette terre des Vauquelin, des Segrais et des Malherbe, il recueillit en lui l’influence heureuse. Bien jeune, il éprouvait à un haut degré le sentiment de la nature. « Je me surprenais à neuf ans, disait-il, devant le coteau de Burcy chargé de moissons et si riche de lumière en été. Souvent, immobile sur le balcon de la maison, j’ai contemplé ce spectacle pendant des heures entières, quand la chaleur frémissait ardemment dans les airs. »

Il fit ses premières études au collége des Cordeliers de Vire, et en 1781, âgé de douze ans, il fut envoyé à Juilly[1] chez les Oratoriens, qui

  1. Parlant, dans ses Souvenirs, de ses condisciples du collége de Juilly où il avait été élevé, et de ceux qui étaient un peu plus jeunes que lui, Arnault, après avoir loué Alexandre de Laborde et lui avoir appliqué ces vers d’Horace :

    … Di tibi formam,
    Di tibi divitias dederant, artemque fruendi,

    ajoute, d’un style moins élégant : « Dans cette catégorie se trouve aussi Chênedollé, poète à qui le temps a manqué pour remplir toute sa destinée, mais à qui la littérature doit, sinon un poème parfait, du moins des vers admirables. »